Mise à jour le 29 juin 2021
Publié le 25 juin 2021 Mis à jour le 29 juin 2021

Fake news, post-vérité, conspirationnisme, désinformation, infox (sur les réseaux sociaux), etc. Ces termes, omniprésents depuis le référendum britannique sur le Brexit et les élections de Trump et de Bolsonaro, nous rappellent l’importance de l’information dans nos sociétés et la lutte acharnée que se livrent les acteurs qui prétendent dire la vérité.

Texte d'Annelise Touboul, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Lumière Lyon 2, Équipe de recherche de Lyon en sciences de l’Information et de la COmmunication (ELICO)

Comment se saisir de ces phénomènes ? Comment étudier l’information sans se laisser happer par la virulence des polémiques ? Que faire quand la multiplication des rubriques de fact-checking semblent échouer à empêcher la prolifération des infox ? Plusieurs approches inscrites au cœur des sciences de l’information et de la communication peuvent aider à mettre à distance l’information en tant qu’objet de recherche.
 

Le recours au temps long pour prendre du recul  


Questionner la vérité des informations et s’inquiéter de leur pouvoir n’est pas nouveau. Chaque époque pose, à sa manière, la question du contrôle et de la liberté d’informer, tout particulièrement depuis que l’imprimerie a permis le développement de médias de masse. Les périodes de censure féroce et de propagande alternent avec des aspirations démocratiques et le besoin de protéger par la loi la liberté d’informer et de s’informer. Revenir à l’histoire des médias et du journalisme permet de relativiser le déclin contemporain de la confiance dans les médias d’information car, comme le rappelle Alexis Lévrier, le journaliste a toujours fait l’objet de critiques (Lévrier, 2019). Dans le même esprit, le dossier de la revue Le Temps des médias sur «La fausse information, de la Gazette à Twitter» rend compte de la permanence de ces pratiques qui utilisent la puissance des médias pour tenter de manipuler l’opinion. La mise en perspective sur le temps long souligne donc la permanence des débats que suscite l’information en contexte démocratique ; elle invite aussi à considérer avec rigueur le contexte dans lequel naissent et circulent les informations.
 

Connaître les écosystèmes médiatiques pour comprendre


On présente généralement l’internet comme un réseau de réseaux imaginé au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour permettre une circulation plus libre de l’information. Avec le développement du web et les possibilités d’autopublication, les formes et les lieux de prises de parole se sont démultipliés, favorisant différents phénomènes parmi lesquels le contournement des médias de masse critiqués pour leur rôle de gatekeepers – d’autorité qui sélectionne les sujets et les acteurs bénéficiant d’un accès à l’espace public. Après une courte phase d’enthousiasme, le web et surtout les réseaux socionumériques sont désormais considérés comme responsables de tous les maux : sans contrôle éditorial, faciles d’usage, rapides, addictifs, se nourrissant de polémiques, etc. C’est donc la faute des réseaux sociaux, comme ce fut celle des jeux vidéo, des écrans ou de la télévision. Les critiques adressées par les autorités politiques, institutionnelles et médiatiques tiennent de la désignation bien commode d’un coupable. Elles exonèrent de penser la complexité des situations et des responsabilités. En réalité, comprendre ce qui se joue dans l’écosystème médiatique suppose d’en saisir les enjeux économiques et politiques (Smyrnaios, 2017) sans se laisser intimider par la puissance des entreprises du numérique et l’opacité de leurs algorithmes.
 

Analyser formes et formats pour situer


S’intéresser aux formes de l’information, c’est prêter attention aux différentes manières de prendre la parole. L’étymologie nous rappelle que la forme n’est pas accessoire mais au cœur même du travail d’informer : informare, c’est donner forme. Dans plusieurs enquêtes récentes sur les informations en ligne, l’analyse des dimensions formelle et stylistique a permis d’identifier différents registres informationnels. Ces observations s’organisent autour de la centralité des médias traditionnels et de leurs normes éditoriales. Grâce à différentes formes de classement (rubriques, dossiers, blocs empilés, colonnes, etc.) la mise en page affiche une maitrise du flux de l’actualité et une énonciation distanciée semble nécessaire pour affirmer l’objectivité qui reste un repère fort du journalisme professionnel. Viennent ensuite les «nouveaux médias» qui s’inscrivent dans le journalisme tout en revendiquant une certaine liberté de ton, de forme, de relation avec le public (Croissant, Touboul, 2019). Plus problématique est la catégorie des acteurs qui imitent la forme des médias dominants et prétendent restaurer une vérité de l’information qui serait volontairement occultée. En recherche de crédibilité et de respectabilité, ces médias choisissent une forme très proche de la presse dite d’opinion. Cependant, le traitement quasi obsessionnel de certaines thématiques telles que l’immigration, un supposé « complot judéo-maçonnique » ou la décadence des mœurs, etc. trahit des engagements militants situés aux extrêmes. Enfin, plus facilement repérables, certains sites construisent leur recevabilité auprès d’un public hostile aux médias en affichant leur différence radicale. La forme et le style s’apparentent alors à ce que Michel Hastings (Hastings, 2009) désigne comme de la vitupération pamphlétaire dans laquelle se mêlent outrances langagière et visuelle.
 

Dépasser les modes de pensée binaires


Si la recherche participe à la compréhension prudente de situations complexes, c’est ensuite à l’enseignement de prendre le relais pour faire découvrir au plus grand nombre la permanence des débats sur l’information et la vérité, ou encore la déontologie qui cadre les pratiques journalistiques. La connaissance de la socio-économie de l’information et l’observation des rhétoriques mobilisées dans les arènes médiatiques complètent utilement l’approche historique. Pas toujours facile à mettre en œuvre, la complémentarité de l’enseignement et de la recherche s’avère ici fondamentale.
 
Bibliographie
  • Croissant V. & Touboul A. (2019), Les nouveaux formats de l'actualité sur/par les réseaux socionumériques, dans E. George (dir.), Numérisation généralisée de la société : acteurs, pratiques, discours et enjeux, ISTE éditions
  • Hastings M. (2009), De la vitupération. Le pamphlet et les régimes du “dire vrai” en politique, Mots. Les langages du politique, 91, 35-49
  • Lévrier A. (2019), Le journaliste, un si vieil ennemi,  La Revue des Médias, http://larevuedesmedias.ina.fr/le-journaliste-un-si-vieil-ennemi
  • Smyrnaios N. (2017), Les GAFAM contre l’Internet : une économie politique du numérique, Bry-sur-Marne, INA