Publié le 19 novembre 2019 Mis à jour le 21 avril 2020
le 13 novembre 2019
Vendredi 8 novembre, Anas, étudiant en deuxième année de licence de science politique à l’Université Lumière Lyon 2, militant du syndicat Solidaires étudiant-e-s, s’est immolé devant le CROUS de Lyon, rue de la Madeleine, en plein après-midi. Quelques instants plus tôt, il avait publié un message sur sa page Facebook annonçant son geste et évoquant les motivations, personnelles et politiques, de son acte.

Le rôle de l’Université est dans un premier temps, face à cette situation, d’apporter son soutien à celles et ceux qui sont en souffrance et que cet acte d’une rare violence a bouleversé.es, qu’il s’agisse de la famille, des proches ou des camarades de notre étudiant. Il est d’écouter, de prendre en charge et d’accompagner, au sein de la communauté universitaire, celles et ceux qui en ressentent le besoin. C’est ce que nous avons souhaité faire en diffusant rapidement des numéros d’urgence à contacter pendant le week-end, en invitant les étudiant.es et personnels à revenir à l’université dès mardi pour échanger et recevoir l’aide nécessaire, en mettant en place une cellule d’écoute sur le campus Porte des Alpes, ainsi qu’un numéro vert joignable à tout moment. Ces dispositifs visent à répondre au choc, à la détresse ou au traumatisme que génère un tel acte, alors que nous savons que les pensées suicidaires et les tentatives de suicides sont particulièrement fréquentes parmi la population étudiante. Ils doivent permettre aussi d’accompagner les personnels dans cette épreuve et dans la manière d’aborder le sujet avec les étudiant.es. Nous sommes toutes et tous bouleversé.es par ce drame.

Le second temps ainsi ouvert est celui de la réflexion sur ce que cet acte nous dit et sur le message que laisse Anas quant à ses motivations. Il nous faut ici garder la plus grande prudence : nous ne sommes pas en mesure d’expliquer ce geste dont les causes sont évidemment multiples et nous ne pouvons généraliser ce qui relève de la singularité de chaque situation.

L’acte commis par Anas a tout d’abord une dimension personnelle qui doit nous interroger. Comment en vient-on à un tel geste à 22 ans ? Quel malaise, quelle détresse peuvent provoquer une telle violence contre soi-même ? Comment détecter et prévenir de telles situations ? De quels moyens disposons-nous pour cela ? Le constat que nous devons dresser est que l’Université dans son ensemble, probablement pas plus que d’autres institutions ou organisations, n’a su détecter cette fragilité chez Anas. Certes, il est en difficulté dans son cursus. Mais les équipes pédagogiques et la Présidence le connaissent comme un étudiant calme, posé, ouvert à la discussion et constructif dans les échanges. Nous devons donc admettre que nous n’avons pas vu venir et pas su prévenir cet acte de désespoir. Il doit nous amener à réfléchir et à travailler au développement et à l’amélioration des dispositifs de sensibilisation, de prévention et de prise en charge, dans notre Université mais aussi dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Le recrutement d’une assistante sociale à l’Université Lumière Lyon 2 en 2017, en complémentarité avec les assistantes sociales du CROUS, va en ce sens. La transformation du Service de médecine préventive en Service de Santé Universitaire dans notre établissement, à la rentrée 2019, doit aussi permettre de mieux répondre aux besoins des étudiant.es. Ce n’est toutefois pas suffisant. L’enjeu plus global est que les universités disposent du niveau de financement qui permette le recrutement d’assistantes sociales et de personnels de santé à même d’assurer un meilleur suivi des étudiant.es. Or, comme l’a déjà souligné la Conférence des présidents d’université, le financement moyen par étudiant diminue.

Un autre aspect qui apparaît avec évidence est la dimension militante du geste d’Anas. A son image, de nombreux/ses étudiant.es sont fortement engagé.es, syndicalement et politiquement, à l’Université et au-delà. Cette implication et ce souci du collectif sont des valeurs fortes, indispensables dans notre société. Certain.es étudiant.es sont des militant.es très actif/ves, se consacrent entièrement à la cause qu’ils/elles défendent, s’engagent corps et âme dans l’action syndicale ou politique. Or, tou.tes les militant.es le savent, l’action syndicale et politique peut être source de cohésion et de solidarité, mais elle est aussi parfois faite de déceptions et de désillusions. Elle peut être extrêmement éprouvante. Elle l’a été sans doute pour celles et ceux qui n’ont pas vu aboutir les combats engagés ces dernières années. Comment faire en sorte que cette implication ne soit pas – les mots ont ici leur sens premier – un engagement « à corps perdu » ? Comment faire en sorte que cette implication se fasse de manière plus équilibrée ? L’Université n’a pas, seule, les réponses à ces questions qui se posent à toutes les structures dans lesquelles évoluent les étudiant.es. Il nous appartient toutefois d’avoir une attention particulière à l’égard de ces militant.es, de suivre avec la plus grande attention les situations où l’action militante semble l’emporter sur le projet de formation et plus largement sur les projets personnels, les cas où des étudiant.es ne sont plus tenu.es que par ces engagements et se mettent ainsi en danger.

Enfin, et de manière revendiquée, l’acte d’Anas a une dimension politique forte. Le message qu’il laisse pose un certain nombre de questions sur la précarité, sur la condition étudiante et sur le niveau de vie des étudiant.es. Beaucoup vivent dans des conditions très préoccupantes. Beaucoup peinent à se loger ou à le faire de manière décente, certain.es ne parviennent pas à se nourrir. Beaucoup vivent de petits boulots qui ne leur permettent pas d’étudier dans un environnement favorable. Comment faire face à cette précarité ? Comment soutenir ces étudiant.es pour qu’ils/elles puissent étudier sereinement ? Comment aussi faire évoluer les procédures pour accéder aux aides sociales, les simplifier, les accélérer, mieux les coordonner ? Ce sont des questions d’organisation mais aussi de moyens, financiers et humains qui sont ici posées. Outre le recrutement d’une assistante sociale, l’Université Lumière Lyon 2 a mis en place des dispositifs spécifiques d’aides d’urgence pour les étudiant.es les plus précaires et a récemment ouvert une épicerie solidaire. Ces efforts sont à la mesure de ses moyens. Il est urgent que la question de la précarité soit appréhendée de manière plus globale et que, au niveau national, les acteurs de l’enseignement supérieur travaillent collectivement à sa meilleure prise en charge, avec les financements adaptés. Cela relève de choix de société quant aux moyens que nous allouons à la jeunesse et notamment à sa frange la plus pauvre.

Face à ces questions et à ces enjeux, nous comprenons les mobilisations et les réactions parfois vives d’une partie des étudiant.es. En revanche, nous estimons que le blocage de l’un de nos campus ce matin revient à mettre les étudiant.es en difficulté dans leurs cursus comme dans l’accès aux services dont ils/elles pourraient avoir besoin. Nous condamnons par ailleurs les menaces et les actes de vandalisme commis au nom de la lutte contre la précarité. Il nous faut penser ensemble, avec les organisations étudiantes et les pouvoirs publics, les moyens de mieux répondre au vrai défi qu’est la précarité. Il nous faut aussi interroger ensemble à l’université, lieu de réflexion et de dialogue, le sens que les jeunes peuvent trouver dans notre société et dans les perspectives qu’elle leur offre.

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