Mise à jour le 19 sept. 2023
Publié le 21 juillet 2023 Mis à jour le 19 septembre 2023
Retour journée travail
Retour sur la 3ème journée du Pôle Travail qui s'est tenue le 30 juin 2023 à l'Université Lumière Lyon 2 "Engagements/Désengagements dans le travail"

Fil rouge de la journée par Michèle Dupré, sociologue du travail, CMW

"Pour cette journée multidisciplinaire sur les Engagements/Désengagements dans le travail ont été convoquées 6 disciplines académiques : droit, sociologie, économie/sciences de gestion, psychologie clinique, anthropologie et ergonomie. Cela a permis de montrer divers angles d’approche, diverses entrées, tant épistémologiques que méthodologiques, diverses références, parfois communes, pour aborder cette problématique. C’est à la fois troublant et stimulant parce qu’ainsi est montré une fois encore qu’une seule discipline ne parvient pas à rendre compte de toutes les facettes d’un objet de recherche, donc cela plaide pour l’interdisciplinarité, mais par ailleurs, il faut faire un effort pour sortir de son champ de références et aller vers l’autre, s’ouvrir à son argumentation.
Nous avons eu donc au cours de la journée une déclinaison plurielle des formes d’engagement et de désengagement dans le travail.

Nous avons tout d’abord avec la communication d’Emilie Lanciano (sciences de gestion/économie) explorer comment des acteurs économiques, désengagés de leur travail précédent à cause des conditions de travail qui les mettaient à mal, s’engagent dans un projet de SCOP. Ils vont alors à travers leurs pratiques, notamment de rémunération (des formes diverses d’ailleurs) engager autour d’eux une équipe qui va penser l’engagement dans ce statut comme une alternative à leur poste désengageant précédent.
Avec la deuxième intervention sur les agents de sécurité (Carole Giraudet (droit) et Sylvie Monchatre (sociologie)) on passe à une autre forme d’engagement, d’engagement imposé par les soi-disant conditions de concurrence qui obligent à faire qu’on en oublie les conditions de travail qui sont normalement pourtant imposées par la loi. Et donc l’engagement du politique va aller jusqu’à ce qu’on détourne la règle pour pouvoir permettre que les employeurs entraînent des engagements extrêmement forts et contraignants de personnels dans des activités difficiles qui font qu’ils n’ont vraisemblablement pas le temps pour faire autre chose que cet engagement dans le travail. Tout au long de l’intervention, on s’interroge comment ils font pour composer avec des activités autres, des engagements militants, des activités sportives etc…Cela pose toute la question de l’articulation entre l’engagement / le désengagement dans le travail et dans le hors-travail.

Après cette intervention, nous sommes allés à l’hôpital avec Audrey Juteau et Nathalie Dumet (psychologie clinique). Et là on a entendu un tout autre langage, langage de la psychologie clinique, plus distant de moi. On voit que là on a un désengagement lié aux conditions de travail, très tendues, qu’on connaît tous bien à présent, car cela a été bien médiatisé ces derniers temps. Ce qu’on voit c’est que pour que les personnels se réengagent dans le travail on est obligé de faire un détour par des pratiques culturelles qui vont réactiver l’engagement en espérant qu’ils retrouvent ainsi les formes d’engagement collectif qui permettent la réalisation de l’activité. D’une part, la souffrance au travail, très bien décrite dans la première partie, ressort très fortement. D’autre part, les difficultés à rentrer dans les pratiques culturelles sont évoquées, mais on aurait aimé en savoir plus, on aurait aimé savoir si certaines pratiques culturelles permettent d’apporter une distance critique par rapport à l’organisation du travail qui met à mal ces personnes de tous services confondus.

Après on est allé à Vaulx en Velin avec Alessandro Marinelli (anthropologie) On y a vu des gens à la marge du travail, donc désengagés du travail, et sans doute aussi désengagés de la cité, car quand on est désengagé du travail, on est aussi souvent désengagé de la cité. Et du coup, il faut des engagements militants, dont on veut qu’ils soient aussi spécialistes pour qu’ils arrivent à remotiver les gens. Voici un autre détour par la transition écologique…Là on est dans les banlieues, et on est habitué dans les banlieues à entendre d’autres discours. Et là on entend gluten, pâtisseries…c’est très intrigant ces détours bizarres par des engagements autres, par la transition écologique par exemple qui font qu’on arrive à un moment à engager des gens dans leur vie quotidienne à côté des militants, pour essayer qu’ils fassent autre chose de leur vie. Et puis en fait à la fin, comme il y a un désengagement public, on assiste aussi à un désengagement militant.

Ensuite on a eu l’atelier qui nous décline d’autres formes d’engagement. Très intéressant, on pourrait en parler longtemps. Aurélia Léon et ses collègues voulaient travailler sur les violences faites aux femmes dans le milieu de travail. Elles vont être obligées de s’engager de manière plurielle face à la situation qu’elle découvre. Elles s’engagent face à ces femmes d’abord, mais elles s’engagent aussi face à des institutions comme l’Anact qui veut leur imposer une certaine forme d’engagement qui n’est pas celui dont elles ont besoin pour sortir ces femmes des violences et des formes de désengagement dans lesquelles elles sont engluées. La situation oblige les chercheuses à sortir d’une part de cette relation qu’elles avaient engagée avec l’Anact, mais aussi à se désengager de la recherche académique pour s’engager dans une recherche action. Là aussi c’est un joli détour.

Enfin, il y a le petit film documentaire qui nous montre l’engagement pluriel de la vendeuse dans son kiosque, engagement familial, engagement social de proximité, engagement politique, engagement pour l’art etc tout cela dit de manière voilée, toujours ténue, de manière toujours entremêlée parce que la vie est ainsi faite d’engagements pluriels. Tout est encastré. Elle montre qu’elle est tout cela en même temps : fille, vendeuse, artiste, qu’elle est engagée politiquement, qu’elle est solidaire avec ses clients.
Je voudrais ajouter quelques réflexions. Pour parler de tous ces engagements, il y a le mot « mots » qui ressort tout le temps, il y a d’abord les mots de la recherche académique, on a vu des mots particuliers à chaque discipline. On a aussi appris ce matin que souvent, pour sortir de certaines situations, il est important de passer par la mise en mots pour sortir les maux du travail. Qu’au travail il y a parfois des mots qui font mal, des mots qui viennent de la hiérarchie, des mots qui viennent quelquefois de collègues, des mots qui viennent parfois de syndicalistes dont on pourrait penser qu’ils sont là pour manier des mots pour que les gens s’engagent, alors que parfois ils ont des mots qui font mal et qui vont faire que les gens vont se désengager. J’ai entendu aussi le mot silence avec une acception plurielle, le silence comme qqch qui révèle qu’on n’a pas pu encore mettre les mots sur ce qui fait mal, et qu’on ne peut pas encore s’en sortir, mais aussi le silence qui sert en quelque sorte de barrière qu’on s’est construite et du coup qui permet de réagir à la situation dans laquelle on est, tout au moins de ne pas trop en souffrir, le silence comme une espère de cuirasse.
On a vu les règles, on a vu parfois contournées, qu’il faut aussi suivre, qu’il faut apprendre à déconstruire. Cela permet soit l’engagement, soit le désengagement.
On a parlé des conditions de travail, évoquées tant pour expliquer l’engagement que le désengagement. On a vu les conditions de travail de la vendeuse dans son kiosque. On a entendu parler de burn out.

On a vu plusieurs fois dans la journée que l’engagement ou le désengagement ne valent pas seulement dans le monde du travail, que quelquefois il y a une continuité entre le monde du travail et le hors travail. Cette forme de continuité peut expliquer qu’il y ait une continuité de l’engagement dans le désengagement
Une journée qui nous engage à aller plus loin, à réfléchir à nos modes d’engagement, dans la vie sociale et dans la vie académique, aux injonctions qui nous sont faites, par exemple en matière d’interdisciplinarité, aux normes que l’on veut nous imposer."

Retrouvez ici les présentations de la journée :

- Introduction à la journée : Engagements/désengagements au travail : Regards pluridisciplinaires par Sylvie Monchatre (IETL, CMW, Université Lumière Lyon2)
- Engagements militants pour la transition écologique en territoire de banlieue, Alessandro Marinelli, anthropologue
- L’engagement démesuré au travail dans la sécurité privée, Carole Giraudet (IETL, CERCRID, Université Lumière Lyon2) et Sylvie Monchatre (IETL, CMW, Université Lumière Lyon2)
- Explorer les pratiques autogestionnaires contemporaines sous le prisme des rémunérations, Emilie Laciano (UFR SEG - Chaire ESS)
- Bibliographie de l'atelier : l’enquête face aux non-dits des violences dans le travail