Mise à jour le 24 nov. 2025
Publié le 20 novembre 2025 Mis à jour le 24 novembre 2025

Le projet Perception et Apprentissage avec le Numérique, financé par l’Université Lumière Lyon 2 en 2021, étudie la manière dont les étudiantes et étudiants mobilisent les ressources numériques déposées par les enseignantes et enseignants sur la plateforme de cours Moodle. Ces ressources sont comprises, par les élèves, comme faisant partie d’un ensemble technique et humain qui formalise des manières d’enseigner et de faire apprendre.

Ce projet étant pluridisciplinaire, il implique des chercheurs et chercheuses en sociologie (Centre Max Weber), anthropologie (laboratoire Environnement, Ville, Société), sciences de l’éducation et de la formation (laboratoire Éducation, Cultures, Politiques), ainsi que le groupe canadien du Centre de recherches Cultures-Arts- Sociétés. L’affordance est leur cadre conceptuel commun. Il s’agit de décrire, selon une approche phénoménologique et écologique, comment les individus perçoivent et mobilisent les potentialités de leur environnement.

À partir de ce cadre théorique, cette recherche vise à documenter la relation perceptivo-motrice et cognitive d’un ou une étudiante avec son environnement numérique d’apprentissage, par l’analyse de son cheminement et de ses traces oculaires (eye-tracking). Il s’agit de rendre compte des manières d’apprendre en analysant les aptitudes cognitives et physiques mobilisées par les élèves pour « naviguer » et travailler dans un environnement numérique.

L’apprentissage avec le numérique est ici envisagé comme une expérience reposant sur ce que l’étudiant ou l'étudiante met en oeuvre pour produire des formes d’attention et de significations aux ressources proposées. L’accent est mis sur l’activité de consultation en train de se faire pour savoir comment se construit l’expérience personnelle de l’usage d’une ressource numérique par les élèves en contexte d’apprentissage.
La méthodologie reposait sur le recours à un eye-tracker (cf. Photographie 1 ci-contre) pour observer ce que l’élève regarde, soit le focus de son attention lors de l’utilisation de l’environnement numérique et pour identifier la « valuation », soit le sens de l’action qualifiée par l’utilisateur ou utilisatrice. L’aspect inédit de ce processus d’emploi de l’eye‑tracker réside dans la possibilité d’ethnographier l’expérience personnelle, incarnée et subjectivée de l’élève.
Photographie 1 – Eye tracker sans fil
Douze captations d’étudiantes et étudiants utilisant des ressources sur la plateforme Moodle ont été effectuées. Le choix s’est porté sur des étudiantes et étudiants en L3 Sciences de l’éducation, L2 et L3 Anthropologie, avec une répartition en groupes, selon deux tâches à accomplir : consulter des documents (n=8) et faire un plan (n=4). Par ailleurs, onze ont accepté de poursuivre leur participation à cette étude composée de deux entretiens par élève (un pour l’explicitation d’une action et un d’auto-confrontation) ainsi qu’un questionnaire basé sur l’échelle Attrakdiff2 qui mesure l’attractivité de la plateforme à partir des qualités hédoniques et pragmatiques (Hassenzahl, 2003).
 
Les premiers résultats obtenus, en 2023, ont permis d’identifier deux grandes catégories dans lesquelles les étudiantes et étudiants s’approprient des savoirs théoriques (affordances épistémiques) et des savoir-faire (affordances pragmatiques) :
♦ « Ce qui fait environnement » : cette catégorie se caractérise par un ensemble de propriétés perçues influençant la mobilisation d’un environnement (travailler dans un lieu calme, qualité de la consigne, manière dont l’enseignante ou l’enseignant valorise une ressource numérique lors d’un cours en présentiel, temps nécessaire à l’appropriation du contenu, etc.).
♦ « Ce que produit l’environnement » : cette catégorie se définit par la manière de mobiliser les ressources en lien avec ses habitudes et le niveau de connaissance universitaire, y compris pour faire face à des obstacles techniques, pédagogiques et organisationnelles, impliquant des ajustements au niveau mésologique (avoir recours à une assistance technique, par exemple) et macrologique (reconnaissance du temps de travail étudiant dans la maquette, par exemple).
Plus généralement, ces résultats corroborent ceux obtenus par questionnaire pour ce même groupe d’élèves, basés sur l’échelle Attrakdiff2. Leur perception de la plateforme Moodle semble ainsi relativement neutre. Une des hypothèses explicatives est que son utilité perçue dépend de son inscription dans un environnement plus large, à savoir : comment est mobilisée et formalisée cette ressource par l’enseignante ou l’enseignant dans son cours ? Le contenu mis en ligne fait‑il partie, par exemple, des attentes de l’évaluation ou est-il une ressource complémentaire nécessaire pour apprendre le cours ?
 
Enfin la qualité d’une ressource semble dépendre de la combinaison de facteurs technopédagogiques et institutionnels.
► Pédagogiquement, les étudiantes et étudiants expriment leurs besoins de pouvoir agir sur le document, impliquant l’interopérabilité des fichiers mis en ligne pour surligner, copier‑coller, etc. (ce qui est peu le cas des pdf, diaporamas ou vidéos). Il est aussi constaté que l’ordre du dépôt des ressources implique tacitement une hiérarchisation dans la manière de les consulter ainsi que l’importance de bien les nommer (en lien avec l’objet de savoir enseigné) et une surcharge cognitive lorsque les ressources concernent des vidéos ou textes longs (vidéo supérieure à cinq minutes, texte supérieur à dix pages).
► Institutionnellement, une difficulté réside dans la manière de comptabiliser le temps de consultation des ressources dans le temps de travail étudiant et, plus largement, dans la reconnaissance institutionnelle d’une forme d’hybridation de l’enseignement (et non comme un ajout du présentiel).
 
Stéphane Simonian, professeur en sciences de l’éducation, Laboratoire ECP, Université Lumière Lyon 2.
 
Chercheuses et chercheurs associés au projet
• à l’Université Lumière Lyon 2 : Stéphanie Dumas Reyssier, Rawad Chaker, Tolga Tekin (ECP), Denis Cerclet (EVS), Spyros Franguiadakis (CMW) et Jean-Yves Poitrat (responsable du Service de pédagogie du Supérieur) ;
• au sein d’autres établissements : Nadège Draperi (CMW, EHESS) et Mouloud Boukala (École des médias, UQAM, Montréal).