Mise à jour le 24 nov. 2025
Publié le 20 novembre 2025 – Mis à jour le 24 novembre 2025
Professeure en anglais de spécialité, terminologie et traduction spécialisée, Pascaline Dury est directrice du Centre de recherche en linguistique appliquée (CeRLA). Elle dirige également le master 2 Traduction et Communication spécialisées en Sciences de la Santé (TCISS), de l’UFR des Langues.
Comment définiriez-vous votre discipline ?
| La terminologie est une science peu connue et assez récente par rapport aux autres domaines linguistiques. Il s’agit d’une branche appliquée de la linguistique, formalisée d’abord en Autriche, mais surtout développée au Québec, qui, en premier a fait le lien entre terminologie et traduction et a développé des cursus universitaires dédiés. La France, de ce point de vue-là, n’a mis en place ses cours de terminologie dans les cursus de traduction que depuis les années 1980, et notre Université, grâce à Philippe Thoiron a été à l’avant-garde en la matière. Mon travail consiste à repérer, identifier et analyser les termes trouvés dans les discours spécialisés et dans les langues de spécialités. J’étudie le terme dans toute son « épaisseur » : sa place dans la phrase, son environnement, le concept auquel il renvoie, ses synonymes, le contexte dans lequel il est utilisé, son évolution au fil du temps, son ou ses équivalents de traduction, etc. J’ai cependant une spécialité au sein de la terminologie : je suis diachronicienne, en anglais et en français, dans le domaine médical, dans celui de l’environnement et aussi du textile. J’étudie la vie des termes et leur évolution chronologique afin de comprendre : pourquoi utilise-t-on un terme en particulier ? A-t-il toujours été utilisé ? D’autres termes étaient-ils utilisés auparavant ? D’autres termes sont-ils en train d’apparaître ? Le concept auquel il renvoie est-il le même ou a-t-il évolué ? L’observation de la terminologie en diachronie et sa traduction de et vers l’anglais constituent deux activités complémentaires qui donnent un intérêt appliqué à cette démarche : elles sont utiles pour comprendre et transmettre des informations parfois importantes. |
Quel parcours vous a conduit à mener des recherches en terminologie ?
| Au cours de mon parcours universitaire à l’Université Lumière Lyon 2, j’ai rencontré un enseignant fabuleux en master, Philippe Thoiron, qui m’a convaincue de ne pas être uniquement traductrice. Ses cours de terminologie m’ont tellement séduite que j’ai très vite su que je devais continuer mes études et faire de la recherche dans cette discipline. Quand j’ai commencé, la discipline était jeune et il y avait un grand besoin de l’expliquer, d’en redéfinir les concepts fondateurs et de la légitimer aussi, pour montrer qu’elle avait un intérêt essentiel pour la connaissance des langues de spécialité. Il fallait continuer de développer ce domaine, notamment en y adjoignant cette approche diachronique. Personne n’avait jamais étudié l’histoire de l’évolution de la langue de spécialité dans l’objectif de montrer que cela a un intérêt pour la pratique de l’anglais aujourd’hui. La recherche sur la terminologie dans le domaine médical étant peu répandue à l’époque, il y avait donc pour moi une attitude militante dans ce choix, le besoin de convaincre et faire avancer les recherches. |
Quelles sont vos méthodes de recherche ?
| La méthode de recherche en terminologie consiste à collecter des textes de spécialités écrits, dans des corpus ad-hoc, et à les analyser à l’aide de logiciels. C’est un travail particulièrement difficile en diachronie car les logiciels sont davantage adaptés aux corpus synchroniques (du moment présent). Ceci nous oblige donc en terminologie diachronique à travailler de manière un peu « artisanale » entre ce que les logiciels nous permettent de faire et les obstacles à contourner pour obtenir les résultats attendus. En terminologie, dans le domaine de la santé, on étudie la manière dont la langue médicale s’est enrichie d’autres langues au fil du temps, mais aussi de termes venant d’autres domaines (termes issus du domaine militaire, de la géologie, de l’informatique ou de la robotique, etc.) et comment les termes, progressivement, sont utilisés pour transmettre des informations scientifiques à d’autres spécialistes, mais aussi aux malades. À l’inverse, le domaine de la langue médicale a enrichi d’autres secteurs comme celui du textile. Le CeRLA, le laboratoire dans lequel j’effectue mes recherches, a toujours été intéressé par les langues de spécialités comme la langue médicale, celle du textile ou de l’environnement. L’intérêt du laboratoire pour la langue du textile s’explique par l’histoire de la ville de Lyon où ce secteur, notamment avec la soie, occupe une place importante. Je m’apprête par exemple à entamer un travail de recherche sur la « terminologie patrimoniale » dans ce domaine, pour retracer la part des termes « historiques » décrivant des pratiques artisanales anciennes qui subsistent dans les discours actuels de la fabrication de la soie - en français et du tweed - en anglais. Quand on étudie la langue appliquée, on répond souvent à un besoin concret, à une problématique rencontrée par les protagonistes, les utilisateurs et utilisatrices. |
Quel est l’enjeu principal de vos recherches ?
| Le premier enjeu est interne à la discipline : convaincre les autres linguistes que la terminologie est utile et qu’observer le terme dans sa dimension conceptuelle et diachronique est utile. Nombre de collègues ne portent que très peu d’intérêt à observer la diachronie et ne voient pas en quoi elle est essentielle pour comprendre la langue. Il s’agit aussi de former des chercheurs, chercheuses, doctorants et doctorantes en terminologie pour que cette discipline continue d’être développée. Cela fait partie de ma démarche de terminologue « militante ». Le second enjeu est méthodologique : montrer que la terminologie est une façon de rentrer dans la langue comme le fait l’analyse de discours ou la morphologie. Ainsi, s’intéresser au terme et à son lien avec le concept, et tout cela au fil du temps permet de montrer que l’anglais sert autrement que dans le cadre d’un apprentissage pour enseigner. La terminologie constitue une façon unique d’observer la langue. Ainsi, nous souhaitons montrer que l’approche linguistique des langues de spécialités permet de faciliter l’échange, de transmettre des informations et de fluidifier la communication. |
Quels sont les défis rencontrés ?
| Le défi est aussi de montrer que la linguistique peut exister en dehors des murs de l’Université, qu’elle a un intérêt appliqué et qu’elle est utile, voire vitale, notamment dans le domaine médical. Les personnes les plus convaincues se trouvent à l’extérieur de l’Université, c’est le cas des médecins par exemple. Les travaux menés actuellement en collaboration avec Marine Riou, maîtresse de conférences, et Emma Giraudier, doctorante (toutes deux au CeRLA) à la demande du Samu de Lyon en est un bon exemple. Les plus difficiles à convaincre restent donc les collègues qui enseignent la langue non spécialisée, non appliquée et qui ne comprennent pas toujours l’intérêt des recherches en terminologie. Les terminologues travaillant majoritairement sur des corpus écrits, certains termes propres à la langue orale leur échappent. Selon moi, il faut donc prendre en compte deux évolutions : une première liée aux méthodes de recherche puisque la terminologie est en train de prendre ce tournant de la langue orale, et une seconde, propre aux recherches dans le domaine médical où il est nécessaire de s’intéresser aux disciplines médicales en émergence comme la nanomédecine ou la télémédecine par exemple. Il faut aussi que les terminologues portent leur regard sur des phénomènes linguistiques encore trop peu étudiés : les termes qui disparaissent des discours et pourquoi (on a plutôt tendance à se focaliser sur les termes nouveaux qui apparaissent), les termes ‘éphémères’, qui n’ont pas vocation à s’installer dans le lexique et pourquoi, etc. |
Un master unique en France
| Le master Traduction et communication spécialisées en sciences de la santé a été fondé il y a près de 40 ans par Philippe Thoiron, qui fut une des premières personnes à enseigner la terminologie dans notre Université. Il a vu un intérêt dans la langue appliquée, notamment son utilité dans la société. Depuis, ce master a su s’adapter aux besoins du public étudiant et de la société, il s’est adapté à l’évolution des métiers de la traduction et de la rédaction scientifique, et aux spécialités médicales très demandées mais aussi à la diversité des langues étudiées : non seulement l’anglais mais depuis 2023 l’espagnol, l’italien et l’arabe. Ce master forme des personnes sur le terrain qui permettent aux malades de comprendre ce que disent leurs médecins mais aussi à favoriser une meilleure compréhension mutuelle entre les médecins (par exemple, utiliser le bon vocabulaire à l’étranger). Il prépare ainsi des linguistes qui sont des chevilles ouvrières discrètes mais importantes de la communication médicale. |
Rédaction
Entretien réalisé par Aicha Hocine
Crédits photos
Alexis Grattier
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