Mise à jour le 24 nov. 2025
Publié le 19 novembre 2025 Mis à jour le 24 novembre 2025

par Cécile Richard, doctorante en sciences de l’information et de la communication, Laboratoire ELICO, Université Lumière Lyon 2

Inscrits dans la loi française en 2015, les « droits culturels » interrogent le fonctionnement des équipements culturels. Parmi eux, les conservatoires sont appelés à repenser leur modèle. Il ne s’agit plus d’adresser une offre culturelle à un public, facilement essentialisé, mais de reconnaître la diversité des pratiques culturelles et de mettre les personnes au coeur des politiques publiques.

Publics et politiques culturelles en France

Les établissements d’enseignement artistique, communément appelés “conservatoires” ou “écoles de musique” - bien qu’ils proposent aujourd’hui aussi des cursus en danse et en théâtre - accueillent chaque année plus de 150 000 personnes souhaitant développer leurs talents artistiques. Créés après la Révolution française dans le but de former des musiciennes et musiciens professionnels, ces équipements ont été progressivement structurés en un réseau dense sur l’ensemble du territoire métropolitain, notamment sous l’effet des politiques culturelles des années 1980. Leurs missions ont ainsi profondément évolué à la faveur d’un mouvement de territorialisation de l’action publique. Ouverts à une plus grande diversité d’expressions artistiques, ils prennent désormais en compte un éventail élargi de pratiques et accueillent aussi les artistes ayant une pratique amateure.
Malgré ces évolutions substantielles, soutenues par le développement des démarches d’Éducation artistique et culturelle à destination des publics scolaires, le public de ces établissements reste socialement peu diversifié, avec une surreprésentation des catégories socio-professionnelles les plus aisées. 

Ma thèse, entamée à l’automne 2021, prend sa source dans mon expérience personnelle, à la fois comme musicienne et comme directrice d’un conservatoire situé dans une collectivité comprenant plusieurs quartiers classés en géographie prioritaire. Malgré une politique culturelle volontaire de la ville, qui soutient plusieurs équipements culturels et développe une offre diversifiée de sensibilisation et de pratiques culturelles accessibles, la quasi absence de la population de ces quartiers parmi les usagers et usagères soulève une question politique majeure quant à la mission de service public du conservatoire à l’échelle de son territoire.

Cette problématique ne m’était pas étrangère : lors d’une précédente recherche, j’avais analysé des actions menées en direction des personnes non inscrites dans ces établissements. À cette occasion, j’ai découvert le paradigme des « droits culturels », notamment à travers les démarches développées dans le cadre de la Politique de la ville en France, qui visent à réduire les inégalités d’accès à la culture au sein des territoires urbains. Plusieurs études et rapports invitent en effet à intégrer les personnes qui habitent ces quartiers dans la définition de réponses aux difficultés qui se concentrent dans ces lieux (Bacqué, Mechmache, 2013 ; Meyer-Bisch, 2008). Ces lectures ont orienté le questionnement de ma thèse vers la place donnée aux individus dans les politiques culturelles menées par les établissements d’enseignement artistique.
 

Un nouveau paradigme : les « droits culturels »

Comme l’ensemble des droits humains fondamentaux dont ils font partie, les « droits culturels » sont des « droits indivisibles et interdépendants ». Au nombre de huit, ils forment un ensemble complexe fondé sur « une définition très large de ce qui fait culture pour la personne ».

Jeanne Lelièvre - Instagram : @jeanne.lelievre

Au-delà des arts et des lettres, ils englobent un large ensemble de pratiques, patrimoines, modes de vie et croyances que les personnes reconnaissent « seules ou en commun » comme leur « identité culturelle ». Ces droits reposent ainsi sur la personne elle-même, sur le respect des patrimoines et la reconnaissance de la diversité culturelle.

Par ailleurs, pour que les personnes puissent opérer des choix libres et éclairés, elles doivent disposer de « ressources » leur permettant de s’émanciper de leur « communautés » d’origine. Ces choix doivent reposer sur la possibilité de « participer pleinement à la vie culturelle » et voir sa participation dûment reconnue. En mettant « la personne au centre de toute démarche culturelle », les « droits culturels » permettraient de renouveler le modèle initial sur lequel les établissements d’enseignement artistiques ont été structurés.
Mais en quoi ce paradigme engagerait-il un changement profond pour ces institutions ?
 

Vers un renouvellement des équipements culturels ?

Les conservatoires, comme d’autres équipements culturels français, se sont historiquement organisés autour d’une offre d’enseignements adressée à un public. Même à la faveur des politiques de territorialisation de l’action publique, ils ont continué de fonctionner en « faisant pour » et non « avec » ce public, qu’ils ont tendance à essentialiser.
Le paradigme des « droits culturels » invite à renverser ce rapport : il appelle à donner une tout autre place aux personnes, à reconnaître leurs références et pratiques culturelles et à repenser les relations que les établissements construisent avec elles.

Les équipements culturels sont encadrés par les règles de la Fonction publique territoriale qui influencent la manière dont leur offre est construite. Cette opportunité de faire évoluer les structures et les pratiques de ces établissements suppose donc la mise en place de réseaux articulés autour des pratiques artistiques des personnes, dans des territoires où cette question serait conjointement portée par les acteurs et actrices des structures culturelles et sociales. Pour ma thèse, j’étudie ces dynamiques au sein du conservatoire du Roannais-agglomération.

Cet établissement mène depuis plusieurs années un travail complexe et protéiforme, tenant compte de la diversité des situations et contraintes des personnes (personnes en situation de handicap, jeunes en études supérieures, personnes âgées…). Le projet du conservatoire est de se déployer sur le territoire, en développant des actions « d’aller‑vers » les personnes et leurs lieux de vie et en adaptant les temporalités afin que toutes et tous trouvent leur place dans l’organisation. Ce travail redéfinit les activités des enseignantes et des enseignants, l’accueil des personnes ainsi que le fonctionnement organisationnel de la structure. Il résulte d’une longue réflexion menée tant en interne qu’avec les édiles et les partenaires. L’enjeu de ma recherche, qui se situe aux prémices de ces mouvements fondamentaux, est d’en décrire les contours, d’en comprendre les logiques et d’accompagner ces évolutions.  
 
► Références
♦ Bacqué Marie-Hélène, Mechmache Mohamed, Pour une réforme radicale des Politiques de la ville, ça ne se fera plus sans nous, Rapport au ministre délégué chargé de la ville, 2013
♦ Meyer-Bisch Patrice, « Les droits culturels. Enfin sur le devant de la scène ? », in L’Observatoire n° 33, 2008, pp. 9-13
 
► Pour en savoir plus
♦ La Déclaration de Fribourg sur les droits culturels : https://droitsculturels.org/observatoire/la-declaration-de-fribourg/