Mise à jour le 24 nov. 2025
Publié le 20 novembre 2025 – Mis à jour le 24 novembre 2025
Le projet LiBer, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), s’intéresse à la première traduction française des Histoires Romaines de Tite-Live : achevée par Bersuire en 1358, celle-ci conditionne la compréhension ultérieure de ce texte. L’édition critique des manuscrits qui la conservent permet d’étudier la réception médiévale de ce texte, qui est à l’origine des conceptions historiques et politiques occidentales.
▌ Un projet inédit d’édition numérique
On pense souvent que le code civil napoléonien, qui régit encore notre société, est largement inspiré des Histoires romaines de Tite-Live, historien latin mort en 17 ap. J.‑C. Ce que l’on sait moins, c’est que notre compréhension des institutions romaines telles que les décrit Tite-Live est conditionnée par la première traduction française, celle du bénédictin Pierre Bersuire qui, au 14e siècle, traduisit les trois « décades » connues à son époque : l’oeuvre immense de Tite-Live (142 livres) s’est en effet transmise en unités autonomes (le plus souvent des décades, groupes de dix livres), mais son ampleur a causé la disparition de sa plus grande partie, certainement dès la fin de l’Antiquité. Bersuire traduisit donc la première, la troisième et la quatrième décade, et son interprétation, ses choix de traduction sont sans doute en partie repris dans les traductions ultérieures. Le texte de Bersuire a ainsi contribué à l’enrichissement lexical et à la connaissance de la civilisation romaine et de ses institutions politiques. Par exemple les premiers emplois du mot « suffrage » dans le sens de « vote » viennent des Décades de Bersuire.| Or, à ce jour, le texte de la traduction de Bersuire n’a toujours pas été édité et reste peu étudié : Marie-Hélène Tesnière l’a remis à l’honneur par sa thèse de l’École nationale des Chartes et par ses articles importants sur le sujet. Elle continue à travailler sur la première Décade, tandis que le projet LiBer édite, en version numérique, les Décades 3 et 4, ainsi que la source principale de Bersuire, le Commentaire latin de Nicolas Trevet commandé au début du 14e siècle par le pape Jean XXII, et les réécritures médiévales de la traduction de Bersuire, remaniée une cinquantaine d’années plus tard, peut-être par Laurent de Premierfait, et abrégée par Henri Romain avant 1466. Les collègues de l’équipe spécialistes de l’Espagne et de l’Italie médiévales ont en charge la comparaison de ces versions françaises aux versions espagnoles et italiennes (Boccace en particulier a traduit la quatrième Décade en italien). |
▌ Une méthode favorable à de nouvelles dynamiques de recherche
| Le projet LiBer repose sur l’édition numérique du texte de Bersuire et sa traduction en français moderne. Il s’appuie sur une enquête philologique permettant d’étudier les sources de l’auteur, le contexte intellectuel, le type de manuscrit qu’il a pu utiliser et les influences de sa traduction. Il comporte aussi un volet linguistique centré sur l’étude des procédés syntaxiques et lexicaux de cette traduction et sur l’examen de la nature et de l’ampleur de son influence sur la constitution de la langue française, particulièrement du lexique politique. Enfin, il prévoit une approche historiographique visant à mesurer son rôle dans la construction de la science historique occidentale. Plusieurs traductions de l’Histoire Romaine de Tite-Live reposent en effet sur celle de Bersuire, en Espagne, Italie, Grande Bretagne, aux 15e et 16e siècles. Aucune recherche d’une telle envergure n’a jamais été entreprise sur la totalité des Décades de Bersuire. La méthode du projet, qui consiste à mettre en regard sur une plateforme numérique l’ensemble des textes - depuis celui de Tite-Live aux traductions espagnoles et italiennes, en passant par le commentaire latin de Trevet, les Décades de Bersuire, et leurs deux remaniements - permettra de rendre le texte accessible au fur et à mesure de l’avancée du travail d’édition. Ainsi, non seulement les membres de l’équipe de recherche pourront débuter leurs études, mais l’accès libre et ouvert (open access) permettra également à d’autres d’y accéder. |
Titus Livius, Histoire romaine, traduction française par Pierre Bersuire (livres I-X, Livres XXI-XXX, Livres XXXI-XXXII, XXXIII-XL, Galica, Bnf
▌ Échos passés d’un projet en devenir
La première année du projet LiBer a été consacrée à la recherche sur les sources de Bersuire : outre l’édition du Commentaire latin de Nicolas Trevet, l’équipe a examiné les manuscrits de Tite‑Live en circulation à l’époque de Bersuire pour retrouver le texte de Tite‑Live utilisé par le traducteur français. En septembre 2022, le recrutement d’une doctorante et d’un doctorant chargés de l’édition et du commentaire des Décades 3 et 4 de Bersuire, a permis de lancer la phase indispensable à toutes les recherches ultérieures : l’édition numérique de ces deux Décades, qui est aujourd’hui presque terminée. L’année 2025, marquée par la finalisation de cette édition, est dévolue aux recherches actives dans le domaine du lexique, objet du second volet du projet. Par ailleurs, un colloque, tenu le lundi 23 juin 2025 au Centre Berthelot, valorise en particulier les recherches doctorales menées dans le cadre du projet.Enfin la prolongation du projet d’une année supplémentaire permettra la mise en ligne des éditions de la troisième et quatrième Décades, et celle des autres textes, sur la plateforme numérique, ainsi que la publication des actes du colloque et d’un recueil sur le lexique. La première partie de celui-ci sera constituée de synthèses sur la portée et la configuration du lexique politique, sur l’écart entre les définitions médiévales modernes, sur les différentes aires linguistiques. La seconde partie, portera sur des études de cas, à partir des fiches élaborées en cours de projet : on pourra ainsi étudier précisément l’influence de Bersuire sur le sens d’un mot comme « suffrage ».
Rédaction
Article de Marylène Possamai, professeure émérite en langues et littératures françaises et latines du Moyen Âge, laboratoire CIHAM, Université Lumière Lyon 2.
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