Mise à jour le 24 nov. 2025
Publié le 20 novembre 2025 – Mis à jour le 24 novembre 2025
Épinards filandreux, brouhaha et chahut : vous avez de mauvais souvenirs de la cantine de votre école ? À la tête du projet « Pause-ressource », les enseignantes-chercheuses Rebecca Shankland et Bianca Botea mènent une recherche interdisciplinaire autour du bien-être à l’école et particulièrement pendant le déjeuner : elles nous expliquent les coulisses et enjeux de cette pause loin d’être de tout repos.
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Bianca Botea
Professeure en anthropologie, Laboratoire LADEC, Université Lumière Lyon 2. |
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Rebecca Shankland
Professeure en psychologie du développement, Laboratoire DIPHE, Université Lumière Lyon 2. |
De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque le bien-être à l’école ? Quels sont les indicateurs pris en compte dans l’évaluation de ce bien-être ?
| R.S. : Le bien-être est une des priorités définies par le ministère de l’Éducation nationale pour l’école. Mais ce concept n’est pas clair pour les acteurs (élèves, corps enseignant, professionnels du périscolaire, prestataires) ; les interroger permet de connaître leur représentation du bien-être à l’école. Cette démarche est au coeur de notre projet. En psychologie, il existe deux aspects du bien‑être : le bien-être hédonique (lié au plaisir, aux émotions positives et à la satisfaction scolaire globale) et le bien-être eudémonique (lié au sens : la motivation intrinsèque pour mener à bien un parcours scolaire, le sens que ça a pour les élèves et pour leur propre image). Tout cela est lié à la qualité de la relation entre pairs, entre adulte et élève, et à la réponse aux besoins psychologiques fondamentaux (sentiment d’autonomie, de compétence et de proximité relationnelle). Le contexte scolaire actuel ne répond pas suffisamment à ces trois besoins, comme le montrent les enquêtes par questionnaires. B.B. : S’intéresser au bien-être est un défi de la recherche en anthropologie car peu d’études existent sur ce sujet et encore moins sur le bien-être des enfants dans les cantines scolaires. Notre approche privilégie des méthodes qualitatives pour saisir la qualité de vie des enfants et du personnel dans ces lieux de restauration. Nous cherchons à comprendre ce que le bien-être signifie pour l’ensemble des parties impliquées dans ce lieu (parents, personnels de cantines, prestataires etc.). Une variété de facteurs intervient : la qualité nutritionnelle et sa mise en espace, l’organisation spatiale et temporelle du temps de la cantine, le mobilier, les ambiances de la nourriture, notamment sonores, le rapport au corps et à l’environnement. Nous prêtons aussi attention aux relations entre les enfants, avec le personnel de surveillance et de service. Nous avons par exemple observé un manque de formation du personnel surveillant, un turn-over et des rapports de force entre prestataires et directions d’écoles pour la mise en place de ce temps de restauration, ce qui influence l’atmosphère du lieu. |
Quels sont les enjeux du bien-être à l’école ? Dans la construction des enfants ? Dans la réussite scolaire ?
| R.S. : Le bien-être à l’école est déterminant pour la motivation, l’engagement et la persévérance dans les apprentissages. C’est donc une dimension clé pour réduire les inégalités liées aux origines sociales. Il existe des programmes sur le développement des compétences psycho-sociales : comment susciter des relations constructives avec les pairs, mieux gérer les émotions, prendre des décisions éclairées. Ces programmes améliorent le bien-être et la réussite en fournissant des outils pour gérer et éviter les situations difficiles dans le contexte scolaire. Ces compétences jouent un rôle important dans la réussite scolaire et l’insertion professionnelle, comme le montrent les études en psychologie sociale. Le rapport 2022 de Santé publique France souligne aussi leurs effets sur le bien-être, la réussite et la qualité des relations. Il n’existe pas aujourd’hui de formation sur le bien-être et le développement des compétences psychosociales dans la formation initiale des enseignantes et enseignants, tout se fait en formation continue, alors que la demande est forte et que le bien-être des enfants dépend aussi de celui des équipes pédagogiques. Selon l’observatoire du bien-être à l’école, la pause méridienne est l’un des moments les moins appréciés des enfants. Le climat scolaire dans la classe n’est pas simple, mais il est pire à la cantine, notamment parce que le personnel y est moins formé et que la pression temporelle laisse peu de place à la qualité des relations. Dans certains établissements observés, le personnel a été formé et on voit la différence en termes de bien-être et de qualité relationnelle. B.B. : La pause méridienne est censée être un temps de revitalisation, par la nourriture, le temps libre, le loisir et le plaisir avec les pairs. Mais il y a une autre dimension : la cantine est un temps d’apprentissage social, d’apprentissage par le corps, d’expression et d’apprentissage de la relation au vivant et à l’environnement via la nourriture. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas selon les observations. Présenter cet espace du déjeuner comme un lieu important d’apprentissage et d’éducation permettrait de donner plus de sens au métier d’encadrantes et d’encadrants, de le valoriser. |
Quel est l’apport de la méthodologie de la recherche-action dans les recherches sur le bien-être à l’école ?
| R.S. : La recherche-action se fait au plus près du terrain : on observe ce qui fonctionne et dysfonctionne. Cela permet aussi de rencontrer l’ensemble des acteurs et actrices. Par exemple, nous n’avions pas anticipé l’ampleur de la chaîne d’acteurs impliqués dans la pause méridienne (du prestataire jusqu’aux directions d’établissements, personnels de surveillance etc.). Cela permet aux personnes qui le souhaitent de participer, de rencontrer les partenaires et les édiles ou responsables des villes afin de voir comment travailler ensemble. La première année de notre recherche a été consacrée à l’observation et la collecte d’informations, avec des entretiens, puis viendra une phase de restitution et de co-construction des résultats avec les parties prenantes. Nous avons sélectionné des villes engagées dans une démarche autour du bien-être lors de la pause méridienne : Saint-Martin d’Hères, Saint-Pierre-la-Palud, Rillieux-la-Pape, Vénissieux. Dans ces villes, nous travaillons avec plusieurs établissements de différents niveaux, avec la complexité supplémentaire que les repas ne sont pas gérés par ces établissements : pour les collèges c’est à la charge du département, et pour les lycées, de la région. B.B. : L’apport de la recherche-action est d’impliquer les enfants via un dispositif qui les place comme protagonistes : les élèves participent, se questionnent et nous travaillons ensemble à créer une réflexivité sur leurs pratiques. Nous faisons appel à leurs dessins, à leurs commentaires sur ces derniers, à l’entretien et à la vidéo. Nous constatons que les enfants et les personnes acceptent volontiers de participer à la recherche mais sont aussi en demande de résultats. Il faut donc à la fois fournir des retours rapides et des apports à long terme, une fois les comparaisons effectuées à plus grande échelle. Nous avons déjà donné des pistes de travail après peu de temps d’immersion, notamment dans les cas de situations conflictuelles qui empêchent d’attendre la fin de l’étude. Dans une école, nous avons observé l’absence d’un dispositif informationnel sur le menu : celui-ci était envoyé aux parents, mais les enfants n’en avaient pas connaissance. Nous avons ainsi répondu ponctuellement à une demande simple, en soulignant ce manque de médiation. |
Quelles sont les actions mises en place dans les établissements scolaires qui permettent d’améliorer le bien-être à l’école ?
| R.S. : La pause méridienne est aussi l’occasion d’initiatives originales favorisant le développement du bien-être, des compétences psychosociales, de la confiance en soi et de l’autonomie. Dans certaines écoles, des élèves du cours élémentaire peuvent aider leurs camarades de maternelle au moment des repas : cela leur donne un rôle, les valorise, permet aux élèves qui sont moins à l’aise socialement de ne pas ressentir une exclusion durant la pause. Cela soulage aussi le personnel et offre un cadre favorable aux plus jeunes élèves. D’autres leviers pourraient être activés (formation, résolution des conflits avec les prestataires, qualité de la nourriture) pour améliorer encore le bien-être sur ce temps de pause. |
Comment se situent les écoles françaises sur les questions du bien-être à l’école par rapport aux pays voisins en Europe ?
| R.S. : Le bien-être n’avait pas été considéré comme une priorité par les écoles françaises jusqu’à récemment, mais la crise sanitaire a fait prendre conscience qu’on ne pouvait plus l’ignorer. Quand nous lisons les études comparatives sur les écoles, nous observons qu’en Norvège par exemple, les enseignantes et enseignants mangent avec les enfants, les repas sont réalisés par les parents et il y a un véritable espace de discussion et d’éducation pendant les temps de repas. L’ambiance de proximité norvégienne est très éloignée de ce que l’on observe majoritairement en France et de son cadre externalisé, qui pose aussi des problèmes. B.B. : La Roumanie est impliquée dans notre projet en tant que partenaire, via une équipe d’anthropologues de l’enfance qui mène un projet pilote dans une école sur l’introduction de repas chauds. Ce pays ne connait pas un système de restauration scolaire si développé qu’en France. Les comparaisons internationales permettent de donner des pistes et de prendre du recul sur la conception que nous avons en France du corps, du bien-être, mais aussi sur la globalisation de ces aspects et des spécificités nationales ou locales. |
Crédits photos
Alexis Grattier
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