Mise à jour le 24 nov. 2025
Publié le 20 novembre 2025 – Mis à jour le 24 novembre 2025
La confiance dans la science est devenue un enjeu majeur des politiques de recherche. En 2016, le rapport Corvol a posé les bases d’« une recherche intègre et fiable », menant à l’inscription de l’intégrité scientifique dans la Loi de Programmation de la Recherche en 2020.
Isabelle von Bueltzingsloewen et Françoise Lantheaume reviennent sur les enjeux de ces mesures pour la recherche universitaire.
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Isabelle von Bueltzingsloewen
Professeure en histoire contemporaine Laboratoire LARHRA Vice-présidente Recherche, études doctorales et science ouverte* de l’Université Lumière Lyon 2. |
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Françoise Lantheaume
Professeure émérite en sciences de l’éducation et de la formation Laboratoire ECP Référente Intégrité scientifique* de l’Université Lumière Lyon 2. |
Qu’est-ce que l’éthique de la recherche ?
| F.L. : La notion d’éthique de la recherche est complexe à définir car très proche de deux autres termes : l’intégrité scientifique et la déontologie. L’éthique porte sur la façon de bien agir, en accord avec des valeurs telles que le respect de la personne, le bien-être animal, la liberté des individus, la justice, etc. Il existe deux types d’éthique : l’éthique procédurale qui désigne la façon dont l’institution gère l’éthique de la recherche via des comités et protocoles, et une éthique réflexive, une sorte d’éthique du/au quotidien, qui fait notamment appel à la discussion entre les pairs. C’est un processus permanent qui permet de réfléchir à la façon de ne pas nuire en anticipant les conséquences des actes des chercheuses et des chercheurs. I.v.B. : L’intégrité scientifique renvoie à la fois à l’honnêteté et à la rigueur. Cela sous-entend de ne pas plagier, de citer et de croiser ses sources, de ne pas falsifier les données et les résultats de sa recherche. C’est aussi présenter ses résultats négatifs même s’ils sont moins valorisants que les résultats positifs. F.L. : La déontologie a une dimension normative et réglementaire, certaines normes sont judiciarisées. Elle est liée à un statut professionnel. Ces règles et normes professionnelles doivent être respectées sous peine de sanction – c’est le cas par exemple des conflits d’intérêt. Il peut y avoir chevauchement entre ces notions : un conflit d’intérêt peut mener à un manquement à l’intégrité scientifique. Les frontières entre ces notions sont parfois floues. La référence est la Charte française de déontologie des métiers de la recherche (Janvier 2015, ratifiée en 2019). |
Quels sont les derniers grands jalons de la législation en matière d’éthique de la recherche ?
| F.L. : En France, l’éthique de la recherche repose sur la loi Jardé (2016). L’arrêté sur la formation doctorale du 25 mai 2016 a imposé un module d’éthique de la recherche et d’intégrité scientifique dans la formation des doctorantes et des doctorants. L’université propose aussi des formations pour les enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs nouvellement arrivés, ouvertes également aux collègues déjà en poste au sein de l’établissement. I.v.B. : Plus récemment, la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) du 24 décembre 2020 prescrit aux établissements publics de recherche de développer une politique d’intégrité scientifique. L’intérêt de ce texte est qu’il définit ce qu’est l’intégrité. La LPR a donné lieu ensuite à l’arrêté du 3 décembre 2021 qui institue les Référentes et Référents intégrité scientifique (RIS) dans les établissements publics de recherche. Désormais, ces éléments sont dans le Code de la Recherche. |
Quel est le rôle de la personne référente intégrité scientifique ?
| F.L. : Le plus souvent, c’est pour régler les problèmes en interne que les collègues ou les doctorantes et doctorants sollicitent leur RIS pour des conseils en matière d’intégrité scientifique. Si une personne s’estime victime de plagiat ou de pillage de données, par exemple, elle peut lui adresser un signalement. Après examen de la recevabilité du signalement, le ou la RIS mène une investigation pour qualifier les faits : y-a-t-il manquement et lequel ? La personne référente à l’intégrité scientifique est indépendante et doit respecter la confidentialité des données recueillies. Elle mène une investigation équilibrée auprès des parties concernées, avec l’appui du réseau des RIS. L’investigation est menée auprès d’enseignantes-chercheuses et d’enseignants-chercheurs, de doctorantes et de doctorants, de revues, plateformes, directeurs et directrices de recherche, etc., qui signent un engagement de confidentialité. À son issue, un pré-rapport est produit et soumis aux protagonistes du signalement. La personne référente à l’intégrité scientifique recueille leurs commentaires et rédige un rapport final qui décrit les faits, les qualifie, et émet des recommandations, avec les commentaires en annexe. Ce rapport est remis aux responsables d’établissement, qui décident des mesures à prendre et d’une éventuelle sanction. Le ou la RIS peut s’entourer de spécialistes de différentes disciplines pour traiter les signalements. I.v.B. : En complément, à l’Université Lumière Lyon 2 a été mis en place un comité d’intégrité scientifique pérenne à vocation consultative et réflexive. Il s’occupe de la diffusion de la culture de l’intégrité scientifique et fait des propositions à la présidence de l’Université. Il répond par ailleurs aux demandes des laboratoires qui souhaitent mener une réflexion de fond et développer une compétence collective sur cette question, par exemple avant une phase d’évaluation. F.L. : Il convient d’insister sur la possibilité pour les doctorantes et doctorants de saisir le ou la RIS, qui peut jouer un rôle pour marquer des limites, notamment dans l’encadrement doctoral. D’une façon générale, son rôle est effectif à condition que la gouvernance de l’établissement prenne clairement position. |
Dans quelle mesure l’intégrité scientifique est-elle indispensable ? Quelles sont les conséquences des manquements ?
| F.L. : L’intégrité scientifique fonde la qualité de la recherche, donc la confiance des citoyennes et des citoyens dans la science. Pendant la pandémie, on s’est rendu compte qu’il y a eu une perte de confiance dans la science car les publications se sont faites trop rapidement pairs n’a pas pu être respecté à cause du besoin urgent de données. Or, produites trop rapidement, selon des méthodologies parfois contestables, celles-ci n’avaient pas toujours la qualité requise. I.v.B. : L’autre problème pendant cette période a été celui de la relation avec les médias. Les scientifiques ont envahi les médias, avec un discours atomisé, confus voire incompréhensible et souvent contradictoire. Le manque de culture scientifique collective et de connaissances sur la façon dont se fabriquent des résultats scientifiques est apparu criant. Le grand public a été choqué de voir que deux scientifiques pouvaient ne pas avoir le même avis sur un sujet. Or si la discussion entre spécialistes est indispensable dans la construction de la science, ce dialogue doit avoir lieu dans les instances scientifiques et non sur les plateaux de télévision. Le problème des médias, c’est de politiser le débat scientifique. F.L. : Les chercheuses et les chercheurs sont responsables de la qualité de la recherche, de la garantie des protocoles suivis, de l’encadrement des doctorantes et doctorants et de leur accompagnement pour éviter tout manquement. Les manquements à l’intégrité sont anciens, et parfois le fait de scientifiques de renom. On a pu découvrir a posteriori que le consentement des sujets étudiés faisait défaut, on a découvert aussi des cas de plagiat ou d’appropriation de recherches faites par d’autres, etc. La communauté scientifique s’est donc dotée de règles pour garantir la fiabilité de la recherche et la confiance que l’on peut y placer. Il y a pourtant un paradoxe : les retraits d’articles de revues scientifiques et les scandales sur l’intégrité ont eu tendance à dévaloriser la communauté scientifique auprès du public, alors même qu’ils montrent que les instances de gouvernance de la science fonctionnent, qu’il y a un contrôle. Dans la communauté scientifique, le retentissement est un peu différent : le développement de la politique d’intégrité scientifique produit un effet miroir qui pousse les enseignantes-chercheuses et les enseignants-chercheurs à analyser leurs pratiques et à les faire évoluer à propos, par exemple, du dépôt des données brutes, des publications, de l’autorat, des usages de l’intelligence artificielle. Une vigilance nouvelle, collective, se développe. |
Comment renforcer la confiance de la société dans la recherche ?
| I.v.B. : Pour renforcer la crédibilité et la confiance de la société dans la recherche, il y a plusieurs leviers, par exemple former les enseignantes-chercheuses et les enseignants-chercheurs à la parole publique ou accompagner la montée en puissance de la recherche participative et partenariale qui a pour but d’impliquer les citoyennes et les citoyens dans la recherche. L’investissement de la communauté scientifique peut aussi se faire via des formes de valorisation de la recherche s’adressant à différents publics (participation à des comités scientifiques d’expositions, conférences grand public, intervention dans des films documentaires, etc.). F.L. : Quand les chercheuses et les chercheurs interviennent dans des formes de discours médiatique, la probité attendue en matière d’intégrité scientifique est aussi en jeu. Il faut aussi faire preuve de vigilance pour que leur parole n’écrase pas celle des autres. Leur rôle est de recomplexifier les enjeux de société et de tirer des enseignements généraux de l’analyse d’exemples singuliers, à partir de données scientifiques. La position de chercheur ou chercheuse dans un domaine d’expertise précis apporte ainsi une profondeur de vue, de la perspective et surtout de la nuance. Il y a aussi un important enjeu de déconstruction des mythes, quel que soit le sujet traité. |
Rédaction
Entretien réalisé par Lina Roy
Crédits photos
• Clémence Mazereau
• Stéphane Marquet
• Stéphane Marquet
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