Mise à jour le 03 févr. 2021
Publié le 27 janvier 2021 Mis à jour le 3 février 2021

La crise sanitaire que nous traversons et l’épisode de confinement du printemps 2020 sont inédits et constituent un contexte expérientiel radicalement nouveau. Ils ont été l’occasion pour nombre de Français de réorganiser leur quotidien et leur mode de vie. Qu’en est-il de la consommation alimentaire ? Le confinement a-t-il modifié nos pratiques dans un sens plus responsable ? Si oui, quels sont ces changements ? Sont-ils transitoires ou pérennes ?

Texte d'Isabelle Prim-Allaz, professeure en sciences de gestion, Université Lumière Lyon 2, Laboratoire Coactis

Nous avons choisi de comprendre l’évolution des comportements selon une logique de processus d’immersion. Lorsque l’individu se trouve dans un nouvel environnement, il passe par une 1re étape de recherche de solutions et de prise de repères, la nidification. Dans un second temps, il pose de nouvelles habitudes. On parle d’exploration. Enfin, l’individu cherche à donner du sens à ses nouvelles pratiques, c’est le marquage. Pour suivre les perturbations et les évolutions des modes de consommation alimentaire liées au confinement, un suivi longitudinal auprès de 435 personnes a été effectué. Celles-ci ont été interrogées aux trois moments clés du processus d’immersion : fin mars 2020 pour l’entrée en confinement, début mai à la fin du confinement, et mi-juin, 1 mois après la fin du confinement.
 

Qu’entend-on par une alimentation responsable ?


Une pratique alimentaire responsable se concrétise notamment par le choix des lieux d’approvisionnement, par des pratiques anti-gaspillages, ou encore par l’achat de produits plus respectueux de l’environnement. De façon schématique, l’aliment responsable type peut se définir comme étant de saison, local, bio et le moins « emballé » possible, si ce n’est en vrac.
 

La nidification : recherche et prise des premiers repères


Une majorité des répondants a été affectée par les ruptures de stocks des premiers jours, mais également par la nécessité ou la volonté de changer de lieux d’approvisionnement, associées à la contrainte de sortir moins souvent. Certains avaient l’habitude de faire tout ou partie de leurs courses sur leur lieu de travail, d’autres se sont interdits d’aller faire les courses à plus d’1 km de leur domicile, etc. Un autre type de changement est lié au fait d’être plus nombreux à la maison et de prendre tous les repas au domicile. Alors que 75 % de nos répondants estiment que le confinement est une bonne occasion de réorienter sa consommation vers des pratiques plus responsables, la majorité d’entre eux a finalement peu changé ses usages. En effet, sur les 4 groupes identifiés, le plus important, les « stables » (65 % des répondants) n’ont pas modifié leurs habitudes en termes d’alimentation durable, quel que soit leur niveau de consommation initial. Les « en baisse » ont légèrement diminué leurs achats de produits bio, locaux, de saison et plus fortement l’achat de vrac. Ce groupe avait, au départ, les pratiques responsables les plus développées. Les « abandonnistes » ont drastiquement réduit leur consommation de produits responsables, alors qu’elle était déjà plus faible que les autres. Ce groupe se caractérise par un niveau d’anxiété face à la Covid-19 plus élevé que les autres. Il trouve en moyenne plus difficile de s’organiser au quotidien et est inquiet concernant le maintien de son pouvoir d’achat. Les « boostés » ont acheté plus de produits responsables qu’avant (hormis le vrac). Ils sont soucieux de leur approvisionnement et ont fait des stocks importants en début de confinement (notamment de produits frais). Ils sortent plus fréquemment que les autres pour faire leurs courses. Ils ont réalisé plus de recettes « anti-gaspi » et sont convaincus que la période est idéale pour repenser sa façon de consommer.
 

L’exploration : mise en place de nouvelles habitudes et recherche de nouvelles possibilités


Qu’en est-il après 7 à 8 semaines de confinement ? Les répondants ne sont plus dans l’urgence et certaines routines ont pu se mettre en place. Ils procèdent à des réajustements et explorent de nouvelles solutions. Tous les profils remontent en consommation de produits responsables.  Les « en baisse » dans la phase de nidification ont désormais un niveau supérieur à avant le confinement.
Les circuits courts et les petits producteurs ont modifié leurs pratiques et ont innové en matière de distribution. Les producteurs locaux sont plébiscités et 15 % des répondants ont eu recours à une livraison à domicile par les producteurs ou à un drive. Les changements de canaux de distribution sont tout autant subis que volontaires. L’expérimentation de nouveaux produits et marques est globalement subie alors que l’adoption de nouvelles pratiques ou façons de faire est largement volontaire. Plus ces changements sont jugés volontaires, plus l’intention de les conserver après le confinement est forte.  
 

Le marquage : adoption des nouvelles habitudes et poursuite de l’exploration de nouvelles possibilités


Durant ce troisième temps, les répondants apparaissent plus en phase avec leur volonté de repenser leur consommation. Les comportements ont relativement peu évolué par rapport à la phase d’exploration. On observe une relative stabilisation de la situation. Le vrac est revenu à son niveau d’avant confinement, probablement en partie grâce à la réouverture des marchés et aux initiatives des acteurs de la distribution pour faciliter ce mode d’approvisionnement dans des conditions sanitaires satisfaisantes. Après une hausse en phases de nidification et d’exploration, le recours aux producteurs locaux, au drive et à la livraison à domicile a retrouvé son niveau d’avant confinement, mais la baisse de fréquentation des magasins de proximité et des grandes surfaces se poursuit. Environ 30 % des répondants ont essayé de nouveaux produits ou marques durables et parmi eux
81 % souhaitent continuer à le faire, indiquant une possible pérennisation. Un tiers de l’échantillon a testé des modes d’approvisionnement durables, et 60 % des testeurs veulent poursuivre. Près de la moitié de l’échantillon a testé de nouvelles pratiques domestiques anti-gaspillage. L’intention de poursuivre est forte (> à 90 %).  
 

Pour conclure


Cette recherche montre que le caractère exceptionnel et subi du changement lié au confinement a plongé les individus dans une situation nouvelle à laquelle il leur a fallu s’adapter. Ils ont réagi de diverses façons mais globalement, les pratiques d’alimentation durable sont en hausse après un mois de déconfinement, le confinement ayant entraîné une hausse des achats de produits locaux et de saison, et dans une moindre mesure, de produits bio. Par ailleurs, une analyse plus fine par groupe montre que la situation a été vécue comme plus ou moins perturbante, en fonction du degré d’anxiété face à la crise sanitaire, des modifications de l’offre alimentaire subies et des bouleversements à l’intérieur des foyers. La perturbation agit comme déclencheur du changement comportemental. Les individus « perturbés » cherchent de nouvelles solutions et explorent de nouvelles façons de faire, qu’ils conserveront ou non, selon un processus d’essai-erreur. Dans le contexte du confinement, cette exploration a pu être perçue comme subie ou volontaire, selon les individus.  Or, la pérennisation des comportements testés est d’autant plus forte que l’individu s’est senti libre de ses choix d’exploration.  C’est une affaire à suivre dans les mois qui viennent !
 
Étude réalisée par Isabelle Prim-Allaz (Université Lumière Lyon 2, Coactis) ; Agnès François-Lecompte (Université Bretagne Sud, LEGO) ; Morgane Innocent (Université Bretagne Occidentale, LEGO) et Dominique Kréziak (Université Savoie Mont-Blanc, IREGE).