Mise à jour le 29 janv. 2021
Publié le 27 janvier 2021 Mis à jour le 29 janvier 2021

La précarité alimentaire est prise en charge de manière croissante dans les territoires, à la fois par les collectivités territoriales et le milieu associatif. En milieu rural, où la question a encore été peu explorée, les spécificités de la pauvreté rurale interrogent les dispositifs de lutte contre la précarité alimentaire.

Texte de Mathilde Ferrand, doctorante en géographie, Université Lumière Lyon 2, Laboratoire d’Études Rurales (LER), École doctorale Sciences Sociales (ED483)

Depuis 2010, date à laquelle a été promulguée la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, le regard porté sur les liens entre pauvreté et alimentation a beaucoup évolué. Le choix des termes utilisés pour qualifier les situations de moindre accès à une alimentation en quantité et en qualité suffisantes en témoigne. L’attention croissante portée au rôle social de l’alimentation et à la question de la qualité pour tous est au cœur de ce changement (Paturel, 2017). La notion de précarité alimentaire est aujourd’hui plus souvent employée que celle d’insécurité alimentaire. Définie dans le Code de l’action sociale et des familles depuis la loi EGAlim du 30 octobre 2018, la lutte contre la précarité alimentaire « vise à favoriser l'accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». Dans le même temps, la question de la précarité alimentaire a été prise en charge de manière croissante par les collectivités territoriales. La mise en place de Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), dont l’un des axes est la « justice sociale », a favorisé l’émergence d’actions qui visent à lutter contre la précarité alimentaire. Par ailleurs, les objectifs et les modèles d’intervention des associations qui agissent sur l’alimentation des personnes en situation de pauvreté se sont diversifiés. Cependant, si la recherche et les pouvoirs publics se sont saisis de la question de la précarité alimentaire en milieu urbain, le phénomène reste peu étudié et insuffisamment pris en charge dans les territoires ruraux.


Les spécificités des territoires ruraux


La prise en compte tardive de la précarité alimentaire en milieu rural s’explique tout d’abord par la force des représentations collectives. Les habitants des territoires ruraux seraient protégés par l’autoproduction et la proximité avec les lieux de production. Au-delà de la seule question de l’accès alimentaire, lorsqu’elles vivent une situation de pauvreté, les populations rurales bénéficieraient de solidarités locales qui constitueraient un filet de sécurité (Roi, 2016).  La faible visibilité de la pauvreté rurale a participé à construire ces représentations. Aujourd’hui au cœur de nombreux débats et mieux connue, elle reste difficile à appréhender. En effet, la diversité des types d’espaces ruraux et des dynamiques qui les animent constituent un obstacle à la compréhension des phénomènes de pauvreté rurale et complexifie leur prise en charge. Toutefois, les travaux récemment menés ont permis d’identifier des spécificités de la pauvreté rurale qui interrogent l’accès à l’alimentation des personnes en situation de pauvreté (Delfosse et al., 2019). Les difficultés de mobilité occasionnées par le coût et la disponibilité des moyens de déplacement ainsi que la faible présence de dispositifs d’aide en territoires de faibles densités peuvent constituer un facteur aggravant des situations de précarité alimentaire. Dans les territoires ruraux, la présence d’une forte interconnaissance constitue aussi une caractéristique ambivalente dans l’accès à l’aide, entre proximité et inhibition. Au regard de ces problématiques, il apparaît nécessaire d’adapter les dispositifs de lutte contre la précarité alimentaire.     
 

Une adaptation des dispositifs


Dans cette perspective, un guide opérationnel a été rédigé par la Fédération Française des Banques Alimentaires et la Fondation Avril sur l’aide alimentaire en milieu rural. Il vise à « stimuler la création de projets locaux innovants adaptés aux besoins et contraintes des populations précaires du monde rural ». Des initiatives qui prennent en compte les difficultés spécifiques aux territoires ruraux ont notamment été élaborées par certains opérateurs historiques de l’aide alimentaire. Les dispositifs itinérants « Croix-Rouge sur Roues », conçus dans le cadre du programme « Mobilité nationale » de la Croix-Rouge, en sont un exemple. Dans la Communauté d’agglomération du bassin de Bourg-en-Bresse, l’usage d’un des véhicules aménagés a permis de rapprocher l’aide alimentaire des habitants de l’espace rural. Une distribution de denrées a ainsi lieu chaque semaine dans une commune située à 9 km de la ville de Bourg-en-Bresse. Cependant, en raison du manque de moyens, le camion ne sillonne pas les routes du territoire comme prévu initialement (Ferrand, 2017). Des difficultés liées à l’itinérance peuvent être observées dans de nombreux autres projets (Delfosse, 2019). Le coût des déplacements constitue un frein à la mise en place de ce type d’initiatives. Des projets locaux de lutte contre la précarité alimentaire, conçus pour répondre aux besoins concrets d’un territoire émergent également. En proposant d’accompagner des collectifs ou des associations, les centres sociaux peuvent être un levier pour mettre en œuvre de telles initiatives. Ainsi, dans la Drôme, l’Espace social et culturel du Diois est en lien avec un collectif qui souhaite développer un projet d’achats groupés dont l’objectif est  de faciliter l’accès de tous à une alimentation de qualité.


Le rôle des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT)


Le développement de PAT en milieu rural favorise une prise en charge croissante de la précarité alimentaire. Lorsqu’elles l’investissent, l’axe « justice sociale » de la procédure peut permettre aux collectivités territoriales d’amorcer une réflexion sur l’accessibilité alimentaire dans leur territoire. Les projets sont élaborés en fonction des besoins du territoire. Dans le cadre du PAT de la Communauté de communes Royans-Vercors, par exemple, des actions en direction de l’alimentation des personnes âgées, dont une proportion importante vit seule, ont été développées en priorité. Ainsi, les difficultés de mobilité, la présence d’une forte interconnaissance ou encore l’éloignement des dispositifs d’aide sont autant de caractéristiques de la pauvreté rurale qui constituent des enjeux dans la prise en charge de la précarité alimentaire en milieu rural. Des acteurs locaux s’attachent à construire des projets qui prennent en compte ces spécificités. Une plus grande visibilité des actions menées permettrait de faciliter leur transfert dans des territoires qui rencontrent les mêmes problématiques.
 
Bibliographie
  • Delfosse C., 2019, « L’alimentation : un nouvel enjeu pour les espaces ruraux », L’Information géographique, 83, p. 34-54.
  • Delfosse C. et al., 2019, « La pauvreté en rural ; quels acteurs, quelles actions pour quels projets ? L’exemple de la région Auvergne-Rhône-Alpes », Bulletin de l’association de géographes français, p. 688-711.
  • Ferrand M., 2017, Difficultés d’accès à l’alimentation et stratégies d’adaptation des ruraux en situation de pauvreté ; enjeux, acteurs et pistes de la réflexion. Étude sur la Communauté d’Agglomération du Bassin de Bourg-en-Bresse, Mémoire de Master 2, Université Lumière Lyon 2.
  • Paturel D., 2017, « Insécurité alimentaire et précarité alimentaire ».  États Généraux de l’Alimentation, Atelier 12, Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 6p.
  • Roi C.-S., 2016, « Vivre le manque en Picardie. Les campagnes de la pauvreté », Communications, 98, p. 37-51.
  • Paturel D., Ndiaye P., 2019, « Démocratie alimentaire : de quoi parle-t-on ? », dans Les Chroniques "Démocratie Alimentaire",  Chaire de l’UNESCO Alimentation du monde.