Mise à jour le 29 janv. 2021
Publié le 27 janvier 2021 Mis à jour le 29 janvier 2021

En France, la question alimentaire est portée par les politiques publiques nationales et locales et par des acteurs hétérogènes (agriculteur/rices, citoyen.nes, associations, structures commerciales). La gouvernance alimentaire territoriale s’organise sur les territoires ruraux et urbains. Elle développe les liens multi-acteurs, permet la relocalisation de l’approvisionnement tout en favorisant de nouvelles manières de se coordonner, d’innover politiquement et socialement dans le portage de projets partenariaux.

Texte de Béatrice Maurines, maître de conférences (HDR), socio-anthropologue, Université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber (CMW)
 

Qu’est-ce que la gouvernance territoriale alimentaire ?


La notion de « gouvernance territoriale alimentaire » renvoie à une coordination plus ou moins institutionnalisée entre pouvoirs publics et acteurs privés pour favoriser le développement et l’organisation de systèmes alimentaires. Ainsi la gouvernance n’est pas entendue comme un dispositif rationnel, appliqué localement selon une logique descendante de politique publique vers les territoires locaux. Elle désigne davantage les manières dont les acteurs - publics, privés, individuels ou collectifs - s’organisent sur les territoires ruraux et urbains, précaires ou non, pour développer les liens entre production et consommation. Elle permet de saisir les enjeux, les stratégies, les résistances des acteurs, ainsi que les jeux d'échelles dans les processus de création et de transformation des territoires alimentaires.  


Une gouvernance au croisement de diverses politiques publiques


Les politiques agri-alimentaires sont au croisement des politiques nationales agricoles et des politiques territoriales alimentaires ; elles montrent la pertinence du réinvestissement de la question alimentaire par les pouvoirs publics locaux. Ces derniers essayent de mettre en lien des acteurs à partir d’outils comme ceux proposés par le Programme National pour l’Alimentation (PNA) qui vise à favoriser le développement des circuits courts, le rapprochement géographique entre les différents acteurs des filières alimentaires, l’ancrage territorial par la promotion d’un approvisionnement de proximité et de qualité. Ce programme souhaite agir dans  le cadre d’une justice sociale afin  de « garantir l’accès de tous à une alimentation de qualité, sûre et en quantité suffisante » (Ministère de l’agriculture et de l’environnement, 2019). Dans le cadre du PNA, les plans alimentaires territoriaux (PAT)  sont élaborés de manière concertée à l’initiative des acteurs d'un territoire pour produire un cadre stratégique et opérationnel, constitué à partir d’actions partenariales répondant aux enjeux sociaux, environnementaux, économiques  et de santé. L’alimentation participe de la structuration et de la mise en cohérence des politiques sectorielles sur un territoire.
 

Des enjeux multiples et variables en fonction des territoires


Les acteurs privés et publics répondent de façon différenciée selon les territoires aux enjeux sociétaux suivants :
  • répondre aux questions de sécurité alimentaire en liaison avec la santé publique et les problèmes de nutrition pour permettre à tou.tes l’accès à une alimentation en quantité et en qualité suffisante sur tous les territoires.
  • articuler les politiques agricoles et alimentaires, afin de favoriser les liens de proximité entre producteur/rices et consommateur/rices et pour relier les territoires urbains et ruraux en développant les circuits courts, avec des produits labellisés ou non (agriculture biologique, raisonnée, etc.).
  • favoriser l’écologisation des pratiques alimentaires et agricoles qui ont pour enjeux la santé publique et le bien-être de la planète.
  • contribuer au développement de la participation citoyenne pour encourager les processus de démocratisation alimentaire et un droit à l’alimentation pour tous et toutes.

L’émergence d’initiatives innovantes


Pour traiter ces enjeux sociétaux, de nouveaux acteurs, projets et partenariats émergent localement. Ils favorisent des maillages de façon plus systématique et l’intégration de paramètres de plus en plus nombreux. Les initiatives locales en faveur de l’agriculture urbaine (AU) se multiplient et les acteurs de ces projets se diversifient : des secteurs d’activité historique comme ceux qui portent les jardins collectifs, aux nouveaux acteurs de l’économie sociale et solidaire. De nouveaux modes d’intervention multi-acteurs sur les territoires se mettent en place avec des bailleurs sociaux, des centres sociaux, des Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC), voire le secteur de l’aide alimentaire (épicerie sociale et solidaire) mais aussi avec des associations porteuses de l’alimentation saine et durable (AMAP, Point de vente Collectif, etc.). L’émergence de structures commerciales vient diversifier les modes de gouvernance entre les différents acteurs publics et privés du secteur de l’AU favorisant ainsi une configuration multisectorielle  de la gouvernance alimentaire. Dans ce nouveau cadre porté par la transition écologique, des métropoles réfléchissent avec leurs partenaires à la constitution de maisons de l’agriculture urbaine (Angers, Lyon, Nantes, etc.), voire de maisons de l’alimentation (Lyon) comme cela existe au Canada. Des actions en faveur de territoires et de publics précaires sont également mises en œuvre à l’interface des acteurs publics (collectivités locales, services d’action sociale, universités, etc.) et des acteurs associatifs ou privés. Ainsi des accompagnements sont menés en faveur de publics spécifiques de plus en plus diversifiés (personnes âgées ou isolées, migrants, etc.). De nouvelles actions se développent autour de lieux de vente, d’épiceries sociales, de groupements d’achat dans les universités ou les quartiers populaires. De nombreuses villes relocalisent également l’approvisionnement alimentaire via la restauration collective. D’autres innovations sont portées par le secteur de l’agriculture paysanne qui expérimente de nouvelles manières de travailler collectivement et crée des SCOP (Société coopérative et participative) ou autres OACAS (Organisme d’Accueil Communautaire et d’Activité Solidaire) afin de regrouper sur la même ferme diverses activités agricoles et de commercialisation. Les gouvernances alimentaires territoriales sont de plus en plus composites, riches de leur diversité et de leurs projets. Elles s’appuient plus ou moins, suivant les territoires, sur des politiques publiques. Elles expérimentent des formes qui allient une diversification d’acteurs, de modes d’action, de financement, pour parvenir à développer leurs projets.
 
Informations complémentaires

Les recherches en cours menées par Béatrice Maurines sur les questions de gouvernance territoriale :

  • projet FILAP sur le développement de filières de proximité alimentaire à Vaulx-en-Velin (partenariats CMW, Coactis et Isara) financé par la Fondation Carasso
  • projet international « Restaurer les environnements dégradés : de l’intervention technique au soin quotidien » (partenariats CMW, Inrae et 4 partenaires chiliens), financé par COFECUB Ecos Sud.
Bibliographie
  • Billon C., 2017, « La gouvernance alimentaire territoriale au prisme de l’analyse de trois démarches en France », Geocarrefour, 91/4.
  • Brand C., Bricas N., Conaré D., et al. (dir.), 2017, Construire des politiques alimentaires urbaines. Concepts et démarches, Versailles.
  • Hochedez C., Le Gall J., 2016, Justice alimentaire et agriculture, JSSJ, 9.
  • Maurines B., 2012, « Gouverner les circuits courts dans les territoires », dans Herault-Fournier C. et Prigent Simonin A.H. (dir.), Au plus près de l’assiette, Versailles, p. 163-167.
  • Praly C., Chazule C., Delfosse C., Saleilles S., 2012, « Repenser l'échelle d'approvisionnement des cantines », dans Herault-Fournier C. et Prigent Simonin A.H. (dir.), Au plus près de l’assiette, Versailles, p.169-186.
  • Paturel D., Ndiaye P., 2019, « Démocratie alimentaire : de quoi parle-t-on ? », dans Les Chroniques "Démocratie Alimentaire",  Chaire de l’UNESCO Alimentation du monde.