Publié le 25 mars 2022 Mis à jour le 31 mars 2022
le 25 mars 2022

François Osiurak, Professeur de Psychologie au laboratoire d’Étude des mécanismes cognitifs, présente deux études publiées dans les revues "Nature Human Behaviour" en 2021 et "Sciences Advances" en 2022.

Répondre à l'une des 125 grandes questions du millénaire

Imaginez une calculatrice. Pensez-vous qu’un.e individu.e isolé.e sur une île déserte, avec toutes les ressources nécessaires, serait à même de la créer ? La réponse est évidente : non. Cet exemple illustre la trajectoire de l’évolution humaine des technologies, à savoir une accumulation d’améliorations technologiques qui sont transmises au fil des générations, ce que les scientifiques appellent aussi la culture technologique cumulative. La question des origines de ce phénomène a été considérée en 2005, par la prestigieuse revue Science, comme une des 125 grandes questions du millénaire. Plus précisément, la question est de comprendre quelles pourraient être les modifications neurocognitives qui ont eu lieu dans notre lignée et qui ont favorisé la mise en place du phénomène. L’hypothèse qui fait consensus au sein de la communauté scientifique est que cette forme spécifique de culture est possible car les humain.es seraient de très bon imitateur/trices, capables de copier fidèlement les comportements de leurs congénères. Ainsi, la transmission de la technologie est fidèle, ce qui permet de ne jamais revenir en arrière, et ce qui laisse le temps à la découverte de nouvelles innovations, qui n’auraient pas besoin d’être comprises, celles-ci étant avant tout le fruit de découvertes chanceuse ou par essai et erreur.
 

Simuler en laboratoire la succession de générations d'individus

Des chercheur.es du laboratoire d’Étude des Mécanismes Cognitifs ont conduit une série d’expérimentations pour tester cette hypothèse. Plus précisément, ils/elles ont exploré si l’amélioration d’une technologie au fil des générations était accompagnée ou non d’une augmentation de la compréhension de comment fonctionne la technologie. La technologie à améliorer était une roue avec quatre branches, qui dévalait sur des rails métalliques inclinés (Figure 1). La tâche consistait à augmenter la vitesse de la roue en modifiant la position de poids situés sur les branches de celle-ci. Pour simuler en laboratoire des générations d’individus qui se succèdent, les chercheur.es ont créé des chaines de cinq participants. Le/la premier.e participant.e (i.e., première génération) pouvait transmettre des informations sur sa roue au/à la deuxième participant.e (i.e., deuxième génération) et ainsi de suite jusqu’à la cinquième génération. La compréhension de la technologie était évaluée à l’aide d’un test dans lequel plusieurs configurations de roue (i.e., des roues avec des poids situés à des endroits différents) étaient proposées et les participant.es devaient choisir la roue qui allait le plus vite.
Les résultats ont confirmé d’autres obtenus dans la littérature, en montrant que la vitesse de la roue augmentait au fil des générations, la cinquième génération de participant.es produisant des roues qui allaient plus vite que celles de la première génération (Figure 1). Ce résultat permettait déjà de reproduire en laboratoire le phénomène de culture technologique cumulative, à savoir une accumulation d’améliorations au fil des générations. Les auteur/trices ont aussi rapporté que l’amélioration de la vitesse de la roue était accompagnée par une augmentation des capacités de compréhension, les participant.es de la cinquième génération comprenant mieux la technologie que ceux de la première génération (Figure 1). Ils/elles ont reproduit ce résultat dans plusieurs conditions de transmission, notamment dans des conditions où les participant.es n’avaient que peu d’informations sur la configuration du/de la participant.e précédent.e (ex : seule la vitesse de la roue était fournie).
Dans l’ensemble, cette découverte questionne l’idée que les origines de notre évolution technologique reposent essentiellement sur nos capacités de copie et des découvertes qui seraient le plus souvent chanceuses et non comprises. Plutôt, ils indiquent que le phénomène pourrait reposer sur des capacités de compréhension du monde physique, ce qui assurerait justement une meilleure copie et reproduction des comportements d’autrui mais permettrait aussi la production d’améliorations pertinentes. Cette découverte inaugure une série de travaux passionnants sur les origines neurocognitives de notre compréhension du monde physique… et technique !

Ces deux études ont été dirigées par François Osiurak, Professeur de Psychologie au laboratoire d’Étude des Mécanismes Cognitifs et publiées dans Nature Human Behaviour en 2021 et Sciences Advances en 2022. Ces deux études ont également impliqué plusieurs membres du laboratoire d’Étude des Mécanismes Cognitifs, dont Joël Brogniart, Ingénieur de Recherche, Salomé Lasserre, Étudiante en Master, Alexandre Bluet, Doctorant, et Emanuelle Reynaud, Maîtresse de Conférences.

Figure 1. Culture technologique cumulative.
 
Figure 1. Culture technologique cumulative.
La figure du haut illustre le dispositif expérimental. La tâche était de faire dévaler une roue le plus vite possible sur deux rails. Cette roue possédait un poids sur chaque branche. Changer la position des poids modifiait sa vitesse. Les participant.es prenaient part à des chaines de transmission, chaque participant.e ayant cinq essais pour améliorer la roue avant de transmettre ses deux derniers essais au/à la participant.e suivant.e. Il y avait trois conditions différentes, qui concernaient ce qui était transmis. Soit les configurations et les vitesses associées aux deux derniers essais étaient transmises, soit ces
François Osiurak

François Osiurak est professeur de Psychologie au laboratoire d’Étude des mécanismes cognitifs.
Ses recherches portent sur les bases neurocognitives de l’utilisation d’outils et sur l'approche cognitive de l’évolution culturelle cumulative.
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Partenaires

Cette recherche a reçu le soutien financier de la région Rhône-Alpes-Auvergne (Projet NUMERICOG: 2017-900-EA 3082 EMC-R-2075.
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