Publié le 4 juillet 2020 Mis à jour le 7 juillet 2020
le 23 juin 2020

L'édition 2020 du prix de thèse de géographie décerné par le Conseil national français de géographie (CNFG) récompense cette année Ninon Blond pour sa thèse "Dynamiques sédimentaires holocènes et terrasses agricoles dans les montagnes du Tigray oriental (Éthiopie). Évolutions, trajectoires et fonctionnement d’un paysage palimpseste depuis 8 500 ans".

Ninon Blond et sa thèse
En décembre 2019, Ninon Blond a soutenu sa thèse de doctorat en géographie, intitulée « Dynamiques sédimentaires holocènes et terrasses agricoles dans les montagnes du Tigray Oriental (Éthiopie) : évolutions, trajectoires et fonctionnement d’un paysage palimpseste depuis 8 500 ans », menée sous la direction de Yann Callot et Nicolas Jacob-Rousseau au sein de l’Université Lumière Lyon 2 et du laboratoire Archéorient (UMR 5133 du CNRS). Son travail s’inscrivait dans le cadre de la Mission archéologique française dans le Tigray Oriental (MAFTO).
À l'occasion du prix de thèse de géographie, Ninon Blond revient sur son doctorat et le travail de thèse.
Doctorat, thèse et méthodologie

N. B. : Le travail de doctorat a été initié en complément des études archéologiques déployées sur le site de Wakarida, afin de comprendre les évolutions environnementales, climatiques et paysagères de la région, durant le temps long de l’Holocène (les 11 700 dernières années), avec un intérêt plus spécifique aux périodes documentées par les fouilles, entre le premier millénaire avant notre ère et le premier millénaire de notre ère.
Grâce à des travaux de sédimentologie et géomorphologie, de géohistoire (étude d’archives) et d’entretiens, j’ai pu identifier trois phases principales concernant les trajectoires socio-environnementales de la région : du VIIe au IVe millénaires avant notre ère (av. n. è.), les dépôts de sédiments dans les vallées indiquent des conditions humides, que l’on retrouve sur l’ensemble du continent entre le XVe et le Ve millénaires av. n. è., caractéristiques d’une période nommée African Humid Period. Du IIIe millénaire au Ier siècle av. n. è., on note une tendance à l’aridification, mais aussi un début d’influence des populations humaines sur la dynamique des milieux. Enfin, du Ier au XVIIe siècles de n. è., les dépôts, mais aussi les archives et les entretiens indiquent une pression forte des sociétés sur leur environnement et quelques pulsations plus humides, en particulier entre les XIVe et XVIIe siècles.

Terrain de recherche

Un autre apport majeur de ma thèse concerne le développement d’une nouvelle méthodologie, l’ethnogéomorphologie, que j’ai pu tester « en grandeur nature » sur le site de Wakarida, que j’étudiais. La nécessité d’inventer une nouvelle méthode s’est imposée suite à la persistance de questions qu’il n’était pas possible de résoudre par d’autres moyens. Dans ma thèse, l’ethnogéomorphologie vise à intégrer les savoirs locaux, recueillis par le biais d’observations et d’entretiens, aux analyses géomorphologiques des processus de formation des paysages. Elle permet ainsi de comprendre le rapport des populations à leur environnement et de fournir des clefs d’interprétation de phénomènes et/ou de formes paysagères. J’ai combiné cette approche à l’ethnoarchéologie, qui vise à interpréter des situations archéologiques grâce à l’observation de situations actuelles, pour donner à l’analyse une profondeur temporelle, indispensable pour comprendre les évolutions des paysages dans le temps, mais aussi des relations entre les sociétés et leur environnement.

Être doctorante, un travail à temps (très) complet !

N. B. : C’est une période où l’on se forme en tant que jeune chercheuse, où on apprend à développer des approches qui nous sont propres et à les faire communiquer avec celles d’autres chercheuses et chercheurs. Il faut donc acquérir rapidement beaucoup de connaissances et de savoir-faire. Pour moi, ça a surtout consisté en des recherches bibliographiques, du travail de terrain, des analyses de documentation ancienne (récits de voyageurs et scientifiques entre le XVIe et le XXe siècles, photographies aériennes anciennes, cartes postales, gravures etc.), des analyses en laboratoire et la passation d’entretiens en Éthiopie. Je pense que dans cette formation, j’ai eu beaucoup de chance d’être encadrée par mes deux codirecteurs qui m’ont transmis énormément de choses sur le terrain, en plus même de leur goût pour la recherche.

Être doctorante est aussi un travail de transformation d’étudiante en chercheuse : progressivement, j’ai appris à faire mes propres choix, créer des protocoles propres à mes objets et questionnements. Parfois, ça a aussi consisté à proposer quelque chose de complètement nouveau à quoi mes encadrants n’avaient pas pensé, pour répondre à une question de recherche. Là aussi je peux dire que j’ai eu de la chance d’être entourée par des codirecteurs de thèse mais aussi des directrices de mission archéologique qui m’ont fait confiance et m’ont laissé aller au bout de mon idée, me permettant ainsi de développer l’ethnogéomorphologie.

Enfin, le travail de doctorante peut aussi comporter un volet d’enseignement. C’est une expérience très différente de celle de la recherche, mais on peut facilement faire des ponts entre les deux, en particulier au sujet de la pédagogie. Dans les deux cas, on doit apprendre très vite à faire passer simplement des concepts ou des processus parfois un peu compliqués. Un de mes exemples préférés est d’expliquer le dépôt et le plissement de couches sédimentaires en prenant l’image des lasagnes !

Le prix de thèse, une reconnaissance

Recevoir cette distinction est un grand honneur et c’est aussi très émouvant. Pour moi, ce prix représente la reconnaissance de mon travail et de mon investissement par la communauté géographique française, et c’est d’autant plus important que ma recherche est très largement interdisciplinaire. D’une certaine manière, cela me conforte aussi par rapport à l’ethnogéomorphologie. Cette méthode est peut-être un peu iconoclaste, mais elle a fait ses preuves sur le terrain éthiopien, et je vais continuer à la mettre à l’épreuve sur d’autres terrains. Enfin, la remise du prix lors du FIG me semble une belle occasion de la présenter, de lui donner de la visibilité, pour partager avec d’autres géographes à qui cette méthode pourrait être utile.

Sa thèse, en résumé

Résumé : Le nord du Tigray (Éthiopie) est caractérisé par de vastes plateaux en bordure desquels se trouvent des vallées aux versants abrupts. Elles sont aujourd’hui comblées de sédiments et densément mises en culture à l’aide de terrasses. Des vestiges archéologiques axoumites ont été découverts sur le site de Wakarida. Les terrasses actuelles sont-elles le fruit de la transmission pluriséculaire d’un paysage « fossile » ? Les comblements résultent-ils d’une sédimentation dirigée entreprise de longue date par les Axoumites et leurs descendants ? Pour répondre à ces interrogations, une méthodologie systémique a été appliquée. L’étude d’accumulations sédimentaires dans les vallées a permis de mettre en évidence les principales phases de comblement et les différents facteurs (biophysiques ou anthropiques) de contrôle du détritisme. À partir du VIIe millénaire av. n. è., les conditions humides de l’African Humid Period dominent et des flux peu compétents déposent des sédiments fins. Les conditions se dégradent à partir du IVe millénaire av. n. è. et l’influence des sociétés est plus net à partir du Ier millénaire av. n. è. Les comblements ne résultent pas d’une sédimentation dirigée. Les archives montrent la persistance de techniques culturales sur le temps long, à l’exception des terrasses. Elles n’apparaissent pas avant les années 1960 dans le Tigray. D’après les archives et les entretiens, elles ont été érigées à partir des années 1990 autour de Wakarida, en lien avec des réformes agraires et des évènements socio-politiques. Les ouvrages actuels, de construction récente, reposent donc sur des comblements anciens qui continuent à évoluer. Ainsi, les paysages hydroagricoles de la région de Wakarida ne sont pas fossiles mais palimpsestes. En savoir plus

Mots-clefs : Éthiopie ; Tigray ; Terrasses ; Érosion ; Dynamiques de versant ; African Humid Period ; Paysages ; Géomorphologie ; Géoarchéologie ; Archives ; Ethnogéomorphologie
Prix de thèse de géographie
du CNFG

CNFG

Pour encourager les jeunes chercheur.es, le Conseil national français de géographie (CNFG) organise depuis 2003 un prix de thèse. Lors de la campagne de qualification, les membres du Conseil national des universités (CNU) sélectionnent les meilleures thèses de géographie de l’année et transmettent ainsi une liste des 10 à 15 meilleures thèses (sur une moyenne de 200). Le Bureau du CNFG en retient au minimum 10, soumises ensuite à un jury composé en majorité de membres extérieur.es au Bureau du CNFG. Celui-ci est chargé d’établir le classement qui détermine le Prix de thèse de l’année ainsi que les deux accessits. Les récompenses sont remises aux lauréat.es lors du Festival International de Géographie à Saint-Dié-des-Vosges dans la première semaine d’octobre.

En 2020 c'est Ninon Blond qui a fait sa thèse à Archéorient sur le sujet : "Dynamiques sédimentaires holocènes et terrasses agricoles dans les montagnes du Tigray oriental (Ethiopie). Evolutions, trajectoires et fonctionnement d’un paysage palimpseste depuis 8500 ans.". Ajoutons qu'en 2020 sur les 11 thèses en lice, une autre venait de Lyon 2 (Louise Dorignon, EVS). Nos géographes se distinguent ainsi pour la 2e année consécutive, puisqu'en 2019, Adrien Baysse-Lainé, docteur en géographie et aménagement associé au Laboratoire d’études rurales (LER), l'a emporté avec sa thèse réalisée au LER sur le sujet "Terres nourricières ? La gestion de l’accès au foncier agricole en France face aux demandes de relocalisation alimentaire".

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