Mise à jour le 18 déc. 2021
Publié le 29 novembre 2021 Mis à jour le 18 décembre 2021

Lauréate du prix 2021 pour sa thèse de psychopathologie clinique « Ordalies migratoires et cliniques de la révolte. Travail de l’exil et Kulturarbeit », Centre de recherche en psychopathologie et psychologie clinique (CRPPC), École doctorale Éducation psychologie information communication (EPIC).

Parcours
et thèse
« Parmi les mots-clés de cette expérience, en voici quelques-uns : recherche, pratique clinique, engagement militant, travail collectif, réflexion groupale, amitié… Mais trois termes brillent spécialement, plus vifs que tous, dans le tourbillon de cette aventure : accueil, révolte et thérapon (témoin, second au combat, dont dérive le substantif « thérapeute »). »
Son parcours et les origines de sa thèse

G. B. : Il est étrange de prendre en compte un parcours d’études depuis la fin (et rien n’est moins sûr qu’il y ait vraiment une fin !). Vu d’ici, le cheminement refuse obstinément de prendre une forme pacifiée, rationnelle, où on pourrait se dire que oui, au fond, les choses se sont déroulées comme prévu. Psychologue clinicienne et docteure en psychopathologie et psychologie clinique. Non, décidément, ce point d’arrivée (momentané) n’était pas prévu au départ. Mais qu’était prévu, en fait, à 18, 19 ans ? Pas grand-chose, à part vivre. À Milan, ma ville natale, j’ai fait une licence en philosophie par nécessité existentielle, et en parallèle, des études de théâtre, pour jouer avec les masques et la vérité, exister plus intensément. Ensuite, j’ai continué en Master de sciences cognitives, car la faculté de langage et sa portée humanisante me laissaient sans mots, et j’avais besoin d’en retracer les processus mystérieux à l’articulation entre esprit et cerveau. J’ai eu la chance inouïe de pouvoir accéder à l’une des inventions les plus belles de l’Europe contemporaine, le programme Erasmus, qui m’a amenée à l’ENS de Paris. Ici, j’ai pu déplier mon existence d’une façon inédite, j’ai commencé à penser et à vivre plus vastement, dans une autre langue. Rentrée à Milan, c’est à ses marges que j’ai porté mon regard et mon écoute, car l’exclusion psychosociale m’a semblé un lieu périlleux pour les narrations qui font les sujets, et partant, un lieu impossible à ignorer. De mes rencontres avec les personnes SDF, grands exclus, schizophrènes, mythomanes, toxicos et poètes, est né mon premier terrain de recherche, pour mon mémoire de Master. Et de ce mémoire est née une rencontre, avec Franck Mathieu, docteur en psychopathologie et psychologie clinique à l'Université Lumière Lyon 2. Sa thèse au plus vif de l’errance psychique m’a guidée, et je suis venue à Lyon, affamée de psychologie clinique d’inspiration psychanalytique. Ici, une autre rencontre, heureuse et déterminante : Georges Gaillard, qui, à partir de ce moment, a cheminé à mes côtés, dirigeant et étayant mes tentatives d’élaboration clinique. J’ai fait une année de Master 2 recherche, toujours dans le champ de la clinique psychosociale, puis une année de professionnalisation, ainsi que la troisième année d’une licence en psychologie à partir de la pratique, et je suis devenue psychologue clinicienne… Le tournant le plus imprévisible qua ma vie n’ait jamais pris ! La thèse est venue juste après. Encore un grand coup de chance : j’ai obtenu un CDU à Lyon 2, pour un projet doctoral qui me tenait à cœur, dans la continuation de mon exploration des déviations de la normativité sociale. Ce projet de thèse s’intitulait : « Ni patrie, ni destin : la migration, aventure utopique du sujet. Sur les seuils de l’asile en Europe, entre nécro-politique et allo-engendrement ». Je ne peux pas, en quelques lignes, exprimer ce que ces trois années ont été pour moi. Je dirai simplement que ce travail, en immersion dans deux collectifs de personnes exilées occupant des bâtiments désaffectés et tissant du vivre-ensemble, a changé ma vie à jamais. Parmi les mots-clés de cette expérience, en voici quelques-uns : recherche, pratique clinique, engagement militant, travail collectif, réflexion groupale, amitié… Mais trois termes brillent spécialement, plus vifs que tous, dans le tourbillon de cette aventure : accueil, révolte et thérapon (témoin, second au combat, dont dérive le substantif « thérapeute »). Aujourd’hui, je travaille à l’Université de Lausanne, en tant que première assistante et post-doctorante au LARPsyDIS (Laboratoire de recherche en psychologie des dynamiques intra- et intersubjectives), dans l’équipe de Muriel Katz, dont le thème de recherche commun est celui de la disparition. Mon projet de recherche porte sur les morts et les disparus de celle que j’ai proposé de nommer « ordalie migratoire », et notamment, sur les migrants naufragés qui échouent à Lampedusa, et sur les gens qui tentent de recueillir leurs corps sans nom, les réinscrivant dans une histoire, au sein du monde humain. À 33 ans, je ne saurais pas dire quelle sera la prochaine étape du parcours - dont j’ignore toujours la cohérence et la rationalité. Je sais seulement que ma manière de vivre est en lutte, que j’ai la chance d’avoir trouvé des excellent.es allié.es, et que la recherche en psychologie clinique est un espace de pensées et de pratiques me permettant de tisser ensemble les traces, les interférences, les histoires, et les vies dont je tente sans cesse de devenir un aède, une caisse de résonance, une espèce de thérapon.

Sa participation au concours

G. B. : J’ai décidé de participer à ce concours pour donner suite à un travail de rédaction extrêmement intense et passionnant, qui m’a poussée à chercher des pistes de publication de mon manuscrit. Ce prix de thèse m’émeut beaucoup. Je dois énormément à l’Université Lumière Lyon 2, c’est grâce à l’étayage de cette institution, grâce à la démarche de pensée ouverte sur le monde dont mes professeurs et mes collègues m’ont nourrie, que j’ai pu m’aventurer sur un terrain de recherche si précaire et instable, mais si humainement riche, porteur de trouvailles et d’alternatives vivifiantes.

Questionnaire
de Proust

Gaia Barbieri se prête au jeu du questionnaire de Proust.

  • Quelle est la ville où vous aimeriez vivre ?
    Ottavia, l’une des « villes invisibles » d’Italo Calvino : c’est une ville suspendue sur un abime, fondée sur un équilibre précaire et sur une démocratie radicale, car la la connexion et la responsabilité mutuelle sont les conditions de sa survie.
     
  • Quel est votre film culte ?
    « Wings of desire », de Wim Wenders
     
  • Si vous n'étiez pas devenue docteure dans votre discipline à Lumière Lyon 2, qu'auriez-vous aimé faire ?
    Actrice de théâtre. Ou révolutionnaire.
     
  • Quel est votre mot favori ?
    Ligne de fuite (oui, ce n’est pas vraiment un seul mot, on va dire qu’il s’agit d’une notion et d’une sonorité qui ne cessent pas de vivifier ma pensée).
     
  • Qu'est-ce qui vous fait peur ?
    La compulsion de répétition, si éclatante à notre époque néolibérale : on frôle l’effondrement, mais on ne change pas de direction.
     
  • Quel est le don que vous aimeriez posséder ?
    Penser en musique.
     
  • Quel est le dernier livre que vous ayez lu ?
    « Encre sympathique », de Patrick Modiano, un livre sur les souvenirs et sur l’importance des liens faibles.
     
  • Que vous reproche-t-on souvent ?
    D’être tête en l’air, maladroite, désorganisée… J’ai tendance à mettre à l’épreuve le cadre.
     
  • Qu'est-ce qui vous fait rire ?
    L’inattendu. Ce que Nietzsche appelait « inactuel ». C’est aussi ce qui me fait espérer.
     
  • Que détestez-vous ?
    L’hypocrisie des états, qui considèrent « démocratiques » leurs régimes nécropolitiques. Toutes les formes de xénophobie.
     
  • Quelle est votre devise ?
    « Ni dieu, ni maître » m’a toujours parlé, mais j’irais plus loin. Je pense à la plasticité subjective dont parlait Nietzsche, « cette force qui permet de se développer hors de soi-même, d’une façon qui vous est propre, de transformer et d’incorporer les choses du passé, de guérir et de cicatriser des blessures, de remplacer ce qui est perdu, de refaire par soi-même des formes brisées ». Ces mots sont si justes que j’en ferais une devise, mieux, un manifeste, politique et existentiel !
     
  • Quel est le moment de la journée que vous préférez ?
    Le crépuscule, qui nous apprend à disparaître.
     
  • Avez-vous un modèle (scientifique, essayiste, personnalité…) ou une personne qui vous inspire ?
    Les caracoles zapatistes, Virginia Woolf, Georges Perec, Eugène Ionesco, Frantz Fanon et Vandana Shiva.