Mise à jour le 29 juin 2021

L’Afrique de l’Ouest en partage

Publié le 29 juin 2021 Mis à jour le 29 juin 2021

Ethnologue au laboratoire d’anthropologie des enjeux contemporains (LADEC) de l’Université Lumière Lyon 2, Julien Bondaz mène des enquêtes ethnographiques sur les musées et les parcs zoologiques en Afrique de l’Ouest, ainsi que des recherches en anthropologie de la communication et en histoire de l’ethnologie. Il collabore avec diverses institutions muséales en France et à l'étranger.

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Comment définiriez-vous votre discipline ?
Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue français, définit l'ethnologie comme l’analyse d’un groupe social en particulier, là où l'anthropologie compare des groupes sociaux entre eux pour rechercher des universaux. Historiquement, les sociétés occidentales étaient étudiées par les sociologues au moyen d’enquêtes quantitatives, alors que les ethnologues étudiaient les sociétés extra-occidentales avec des méthodes qualitatives. Aujourd'hui, ces distinctions méthodologiques sont remises en question. Personnellement, j'aime définir l'ethnologie comme la science des points de vue, puisque l’objectif de l’ethnologue est de recueillir ceux des individus sur leur expérience, leur vision du monde, en se détournant le plus possible de son propre point de vue.

Quel parcours vous a conduit à devenir ethnologue ?
J'ai suivi une double formation en littérature et en histoire de l'art. De fait, j’étais très intéressé par l’art africain. On a considéré pendant longtemps que les objets fabriqués et utilisés en Afrique de l'Ouest, et plus largement en Afrique subsaharienne, ne devenaient des œuvres d'art qu’une fois transférés dans les sociétés occidentales. Je souhaitais en comprendre les raisons et l’enquête de terrain me paraissait vraiment importante. Je me suis alors tourné vers les outils et les méthodes de l'ethnologie afin de réaliser des enquêtes qualitatives sur plusieurs musées d’Afrique de l’Ouest.

D’où vient votre intérêt pour les sociétés d'Afrique de l'Ouest ?
Mon intérêt pour l’Afrique de l’Ouest, plus particulièrement pour le Mali, date de mon adolescence. Pour l’anecdote, il vient d’un rêve : j’ai rêvé d’un roi africain sur son cheval. À cette époque, j'avais très peu de connaissance de l’Afrique, ce rêve m’a donc surpris. Je suis allé au centre de documentation de mon collège pour faire des recherches : j’ai découvert l’histoire d’un des plus grands Empires de la période médiévale, l'Empire du Mali. Aux XIIIe et XIVe siècles, il recouvrait une grande partie de l'Afrique de l'Ouest. Cette histoire a été rapportée par des chroniqueurs arabes, mais surtout transmise de génération en génération par des récits oraux teintés d'éléments légendaires. J'ai regretté que ce fait historique ne m’ait pas été enseigné à l’école ou au collège et je me suis passionné pour cet Empire, puis pour la société malienne actuelle. Quand je raconte cette anecdote sur le terrain, l'importance accordée aux rêves étant grande en Afrique, elle est interprétée comme un appel du destin.

Quels sont vos thématiques de recherche ?
Je me suis d’abord intéressé à l'anthropologie de la mise en image, c’est-à-dire aux interactions entre humains et œuvres d'art dans les musées d’Afrique de l’Ouest. Ces enquêtes rendent compte de la grande diversité de valeurs accordées à ces objets, de magico-rituelles à artistiques en passant par marchandes. J’ai aussi pu constater les analogies établies entre les objets exposés dans des musées et les animaux exposés dans des parcs zoologiques. Ainsi, j'ai étendu mes recherches à l'anthropologie de la nature, toujours dans un contexte de conservation et d'exposition. Je mène également des recherches en anthropologie de la communication : j'ai commencé à travailler sur la circulation d'une rumeur au Sénégal avec Julien Bonhomme, un collègue ethnologue. Puis j’ai eu le désir de me tourner vers des sujets du quotidien : les sociabilités urbaines ou les commensalités, c'est-à-dire le fait de partager le thé ou un repas. Enfin, je travaille sur l’histoire de l’ethnologie. Pendant mon post-doctorat au musée du quai Branly, j'ai eu accès aux archives de la fin de la période coloniale. Je me suis intéressé aux pratiques de collecte d'objets ethnographiques, mais aussi de spécimens zoologiques, entomologiques et botaniques par les ethnologues en Afrique subsaharienne. Depuis dix ans, ces recherches prennent de plus en plus d'ampleur. En effet, les situations de conflits au Burkina Faso et au Mali et plus récemment la pandémie mondiale rendent les enquêtes de terrain plus compliquées. Les recherches en archives me permettent d'avancer sur ces aspects historiques.

Quelles sont vos méthodes de recherche ?
Une des méthodes de l’enquête ethnographique est l'immersion, c’est-à-dire le fait de loger pendant plusieurs mois chez les personnes auprès de qui on mène sa recherche. Sur place, on a des interlocutrices et des interlocuteurs privilégié.es. Il ne s’agit pas seulement d'observer pour comprendre les points de vue des individus, il faut aussi participer à leur quotidien. Ce principe est appelé «l’observation participante». Depuis que je suis enseignant-chercheur, je ne peux plus rester aussi longtemps sur le terrain, mais je continue de partir au moins une fois par an. Ensuite, je reviens en France pour traiter les données et prendre de la distance. Ces allers-retours entre des temps et des espaces d’observation et de participation puis de réflexion et d’analyse sont importants.

Quel est l’enjeu principal de vos recherches ?
L’expérience personnelle que j’ai vécue au collège m’a permis de constater à quel point l’histoire des sociétés ouest-africaines est négligée dans nos formations. Ainsi, l’enjeu de mes recherches est de rendre compte de la complexité de ces sociétés. Mes travaux sur les musées viennent également résonner avec un enjeu d’actualité : le questionnement autour de la restitution du patrimoine culturel africain. À ce propos, j’ai eu l'occasion d'échanger avec Bénédicte Savoy, historienne de l'art mandatée par le président de la République pour réfléchir à ces questions avec l'écrivain et économiste sénégalais Felwine Sarr. Lors de la remise de leur rapport en 2018, Emmanuel Macron a annoncé la restitution de 26 œuvres au Bénin. Mes recherches, tout comme celles de mes collègues, contribuent à alimenter ce type de débat.

Vous participez à de nombreuses activités de diffusion des savoirs (expositions, conférences...). Que vous apportent-elles ?
Ces activités collectives, très enrichissantes, permettent la démocratisation de l’ethnologie, une discipline assez méconnue. Je mets ainsi mes recherches à la disposition d'un large public. L'investissement demandé, souvent pendant deux ou trois ans, est malheureusement peu reconnu dans les politiques d’évaluation de la recherche. Le commissariat scientifique de l’exposition «Venenum, un monde empoisonné», qui a eu lieu du 15 avril 2017 au 13 avril 2018 au Musée des Confluences, comptait deux historiens, une pharmacologue, un toxicologue et un ethnologue. Cet esprit pluridisciplinaire ainsi que les échanges avec les personnes spécialisées dans la vulgarisation scientifique sont très formateurs. J’ai eu la chance d'être associé à ce projet qui proposait une expérience assez unique en France : mêler le vivant et le non-vivant dans une exposition. En effet, on pouvait voir plusieurs espèces d’animaux venimeux vivants : des serpents, des araignées ou des dendrobates. Cette exposition correspondait bien à mon intérêt pour les interactions entre humains, objets et animaux. Elle a eu un grand succès puisqu’elle a enregistré 300 000 entrées en un an. En ce moment, je travaille sur l’exposition «Magies», une coproduction entre le Muséum de Toulouse et le Musée des Confluences. Elle devait ouvrir à Toulouse en décembre 2020 et arrivera à Lyon en 2022. J’ai hâte que le public la découvre.

Comment votre discipline pourrait-elle évoluer ?
Cette discipline est assez minoritaire. Ainsi, la version pessimiste est qu’elle disparaisse, «aspirée» par d’autres disciplines (la sociologie, l’histoire, la géographie, etc.). La version optimiste, qui est la mienne, est que les méthodes qualitatives d'enquêtes ethnographiques soient de plus en plus utiles dans des milieux professionnels très variés. L’autre espoir réside dans la mise en place d’un enseignement de l’anthropologie au lycée. En effet, à l’heure actuelle, les questions identitaires sont souvent caricaturales et donnent lieu à des développements populistes et au retour de positions xénophobes. La discipline peut apporter des clés de compréhension sur la diversité culturelle à travers la quête d’universaux, l’étude de ce qui nous rassemble. Donc il me semble qu'un enseignement en anthropologie serait un bon complément à l'enseignement philosophique au lycée. Le ministère de l'Éducation nationale tend parfois l'oreille à cette proposition.
 
Salle consacrée aux « appropriations africaines des religions abrahamiques » au musée des Civilisations noires, Dakar, 2019. Crédit photo : Julien Bondaz
Cage des babouins au parc zoologique de Bamako, Mali, 2014. Crédit photo : Julien Bondaz
Réserve d'un antiquaire ouagalais au Burkina Faso, 2012. Crédit photo : Julien Bondaz

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Avez-vous observé une évolution de votre discipline ?
Depuis les années 70, on constate une montée en puissance des enquêtes ethnographiques conduites dans les sociétés occidentales. L’autre évolution plus récente est un raccourcissement du temps passé sur le terrain, car les réformes de l’Université tendent à réduire le temps de recherche des enseignant.es-chercheur.es. Encore plus récemment, la part de l'ethnographie virtuelle augmente, surtout auprès de nos étudiant.es qui ne peuvent plus accéder à leur terrain à cause de la pandémie mondiale. Ces interactions virtuelles témoignent de changements sociétaux, nos recherches doivent en rendre compte. Enfin, on assiste à une crise de la logique de la recherche par aires culturelles ou géographiques. Cette logique était pourtant au fondement de la discipline à la fin de la période coloniale mais cette approche est critiquée actuellement, les effets de la globalisation la rendant moins pertinente. Les spécificités culturelles qu'on observe ne sont pas des éléments figés. Les identités sont dynamiques, flexibles. La discipline a donc un double défi : rechercher à la fois un universalisme qui ne soit pas un occidentalo-centrisme, et d'un autre côté un relativisme qui ne soit pas un culturalisme.

Quel est le plus grand défi que vous ayez eu à relever ?
En ce moment, mon plus grand défi est la poursuite des enquêtes ethnographiques au Mali et au Burkina-Faso malgré les conflits armés qui s’intensifient dans ces deux pays. Je suis obligé de reconfigurer mes projets et je me pose beaucoup de questions éthiques sur les thématiques de recherche dans ces contextes de guerres. Malheureusement, ils font partie des aléas de la recherche en ethnologie car nous observons des enjeux contemporains.

Quelle est votre plus grande fierté ?
Ma plus grande fierté est d’avoir des retours positifs de mes interlocuteurs et interlocutrices en Afrique de l'Ouest lorsque je leur présente les résultats des recherches auxquelles ils ou elles ont contribué. Personnellement je trouve cet aspect très important. En tant qu’ethnologue, nos recherches ne sont pas destinées uniquement à nos collègues ou au grand public en France, nous visons une forme de restitution des résultats de la recherche sur place.
 

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